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 Source : L Express (15/11/2001)    Source : L Express (15/11/2001)
[Articles du 15/11/2001] - [ Periode : 11-2001 (256 articles)] - [ Source : L Express (13 articles)]

Article paru le 15/11/2001 - Cet article est la propriété du journal ou société : L Express

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Le jour où la ville a explosé


Du bruit effroyable de la déflagration à la traque des pillards, en passant par l'action auprès d'une population affolée, L'Express a reconstitué les heures d'angoisse de la Ville rose

Vendredi 21 septembre 2001, 10 heures 16 minutes 31 secondes. Le directeur départemental de la sécurité publique, Jean-Pierre Havrin, en réunion à la préfecture, sursaute dans son fauteuil. Un énorme bruit sourd ébranle toute la ville de Toulouse. Les vitres des immeubles dégringolent en même temps. Le patron de la police a le même réflexe que des milliers de Toulousains: il se précipite dans la rue, déjà jonchée de débris. Il croit d'abord qu'une bombe a explosé à l'agence Air France, devant lui, car toutes ses vitres sont brisées. Mais un agent lui annonce alors, essoufflé, qu'un engin vient de sauter dans le métro... De la radio de sa voiture, reliée au PC central, tombe l'annonce d'une série d'attentats, au consulat des Etats-Unis, au palais de justice, dans une clinique privée, au 11e étage d'une tour et même au garage du commissariat central de la ville…

Plus ils avancent vers l'usine chimique AZF, plus le spectacle est dantesque

E n quelques minutes, plus d'une trentaine d'attentats sont signalés à travers toute la ville. Des attaques terroristes simultanées? La réponse vient d'une voiture de police en patrouille. «Urbain 91 signale qu'une grosse colonne de fumée s'élève dans la zone industrielle, au sud.» Aucun doute, un épais nuage jaune, menaçant, s'élève au-dessus de la ville. Jean-Pierre Havrin (code radio «Polaire») gagne en urgence le commissariat central. Il demande alors à son adjoint, Pierre Tristan (code «Hermès») de se rendre sur place. Hermès fonce avec trois policiers de la brigade anticriminalité. Plus ils avancent vers l'usine chimique AZF, plus le spectacle est dantesque. Dès qu'ils sortent de la rocade, le périphérique qui longe le site de l'usine, l'équipage voit les maisons éventrées et les premiers blessés. L'air s'épaissit, le ciel s'obscurcit, une forte émanation d'ammoniac pique les yeux. La route est recouverte de terre. Les policiers récupèrent une première victime titubante, qui leur crie: «Attention, avec tout ce qu'il y a dans l'usine, vous pouvez tomber dans les pommes... Ça peut resauter d'un moment à l'autre.»

Les policiers ont, comme tout le monde, les événements de New York à l'esprit, qui se sont déroulés dix jours auparavant, et ils craignent un nouvel attentat ou des explosions en chaîne qui pourraient atteindre les sauveteurs. On leur demande d'ailleurs de repasser au commissariat pour s'équiper de masques à gaz, mais ils n'en ont pas le temps. «C'est une véritable catastrophe, annonce Hermès à Polaire. L'Onia est complètement soufflé. Je vois sortir des blessés. Il y a des morts et des gens qui hurlent autour de moi et on ne peut pas les évacuer pour l'instant. Il faut faire accélérer les secours et installer un périmètre de sécurité.» Un responsable, blessé, révèle que l'explosion s'est produite à l'usine chimique AZF et qu'il a eu le temps de fermer tous les conduits.

A la suite de l'explosion, aucune communication téléphonique, qu'elle provienne d'un poste fixe ou d'un portable, ne passe. Les gens errent dans les rues, hébétés. Des mères sans nouvelles de leurs enfants se précipitent dans les écoles. Dans les rues, des passants de type nord-africain sont pris à partie et menacés. Heureusement sans violence. La circulation est complètement bloquée. Un véhicule de police banalisé parvient à fermer la rocade pour éviter que les voitures n'atteignent la zone de l'explosion, où 230 véhicules sont déjà détruits. Parmi leurs occupants, on dénombre beaucoup de blessés. Hermès signale encore qu'un magasin Darty, non loin de l'usine, s'est entièrement effondré. Plusieurs personnes y trouveront la mort. D e tous les quartiers de la ville des voitures de patrouille lancent des alertes. Les policiers qui ne sont pas de service reviennent spontanément au commissariat ou prennent des initiatives qui vont sauver des vies. Un gardien isolé signale qu'il a récupéré 200 jeunes au stade Bellefontaine et qu'il les met à l'abri dans un gymnase. Un autre appelle du collège Reynerie: «J'ai trois blessés, dont un grièvement, une demoiselle de 16 ans, qui est en train de faire une hémorragie de l'oeil. Il me faut des secours en urgence.» Au commissariat du quartier du Mirail, un capitaine de police transforme son local en centre de tri des blessés. Au premier étage, il organise une crèche improvisée pour garder tous les enfants évacués des écoles.

«Les policiers, qui connaissent à fond leurs territoires, ont fait un travail remarquable. Ils m'ont étonné par leurs initiatives, se félicite Jean-Pierre Havrin, d'autant qu'eux aussi ont été touchés. Les logements de 16 policiers ont été détruits et ils se sont retrouvés à la rue.» Un fils de commissaire a l'idée d'arrêter une patrouille pour qu'elle prévienne son père que sa mère et lui sont sains et saufs. Les fourgons de police vont transporter plus de 2 500 blessés. De même, un chauffeur de bus, légèrement blessé à proximité de l'usine, utilise son véhicule pour transporter les blessés à l'hôpital. Les ambulanciers privés foncent spontanément vers le site de la catastrophe.

«Tolérance zéro, pas de pitié pour les charognards»

Nouvelle alerte, d'un autre genre. A peine trois quarts d'heure après l'explosion, des bandes de voyous commencent à piller les magasins ou les maisons. Certains entrent dans les appartements, un foulard sur le nez, et ordonnent aux occupants d'évacuer au plus vite: «Ça va exploser.» Jean-Pierre Havrin lance à leurs trousses 12 voitures, avec trois policiers à bord de chacune. «Tolérance zéro, ordonne-t-il, pas de pitié pour les charognards.» Huit équipes de pillards sont ainsi arrêtées à chaud. Un mois plus tard, des jeunes d'une autre bande seront interpellés dans le quartier du Mirail. On retrouve chez eux des objets volés. Certaines banques, abandonnées par leur personnel, sont ouvertes à tous vents. Un vigile, chargé de la surveillance, en profite pour se servir. Il oublie totalement la caméra de surveillance. L'enquête ne sera pas trop difficile... Au PC, le commissaire central résiste à plusieurs demandes pressantes d'administrations ou de personnalités qui réclament en urgence des policiers pour leur protection. Pas question, pour Havrin, d'immobiliser ses troupes. Il choisit la technique des patrouilles mobiles, qui sillonnent la ville. Equipées de radio, elles seules peuvent expliquer à la population ce qui se passe et éviter les fausses rumeurs.

L 'unique ligne téléphonique qui a résisté est le Rimbaud, une ligne protégée et confidentielle qui relie la police à la préfecture et aux ministères, à Paris. Elle permettra d'informer en permanence le directeur général de la police. Depuis, Havrin a réclamé des téléphones satellitaires, indispensables en cas de crise. Très rapidement, nouveau stress inattendu: la police est avertie de l'arrivée, sur la base militaire aérienne de Francazal, du président de la République, du Premier ministre et de ministres. Chacun sera escorté par deux motards, décident les patrons de la police et de la gendarmerie. En quelques jours, Toulouse va recevoir la visite de 25 membres du gouvernement, dont il faut évidemment garantir la sécurité.

Plus le temps passe, plus les policiers ont conscience que la catastrophe, qui a fait 30 victimes, aurait pu être beaucoup plus meurtrière. Par exemple, souligne un responsable, l'usine AZF se situe juste dans l'axe des pistes de l'aéroport de Toulouse. Un avion s'est d'ailleurs posé trois minutes avant l'explosion. S'il était passé précisément à ce moment-là, à 400 mètres de hauteur, il aurait forcément été atteint. De même, la fermeture en urgence de la rocade, la rapidité d'intervention des secours, la protection de la population ont, sans aucun doute, évité bien d'autres morts.

Jean-Marie Pontaut


 Source : L Express (15/11/2001)    Source : L Express (15/11/2001)

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