Policiers et magistrats privilégient la piste de l'accident dans l'explosion de l'usine AZF, le 21 septembre
Moins de deux mois après la catastrophe de Toulouse, l'enquête ouverte pour «homicides involontaires par manquement délibéré à une obligation particulière de sécurité ou de prudence» compte désormais près de 2 000 pièces de procédure. Elle s'oriente résolument vers la thèse de l'accident. Les fonctionnaires du SRPJ et les juges d'instruction, Didier Suc et Joaquim Fernandez, ont en effet mis en évidence des dysfonctionnements de l'usine AZF. Les investigations démontreraient ainsi que le stock d'engrais d'où est partie l'explosion était souillé, conservé sur un socle dégradé, insuffisamment surveillé et, qui plus est, manipulé avec légèreté. Ces conditions spécifiques auraient provoqué un phénomène chimique, rendant explosible un produit réputé stable à l'état pur. Une thèse qui divise les experts (lire l'article "Les interrogations de chimistes"). Voici comment les enquêteurs en sont arrivés à leurs conclusions.
Le 21 septembre, dès leur arrivée sur le site, les policiers de la PJ déterminent l'épicentre de l'explosion: un vaste cratère de près de 10 mètres de profondeur. Il s'ouvre là où s'élevait le hangar 221, au centre d'un tas de 300 tonnes environ de nitrate d'ammonium destiné au retraitement.
D'énormes négligences
Une note rédigée le 28 septembre par deux experts près la cour d'appel de Toulouse et à laquelle L'Express a eu accès détaille la thèse de l'accident. Daniel Van Schendel et Dominique Deharo concluent que cet entreposage a été «fortuitement contaminé», ce qui l'a rendu explosible. Les conditions de stockage ne remplissaient pas toutes les garanties de sécurité. Le hangar, aux murs épais de 60 centimètres, restait par exemple ouvert sur son côté sud-est. Il n'était doté d'aucun détecteur de chaleur, alors que le nitrate d'ammonium est susceptible d'exploser à haute température. De plus, des témoignages d'ouvriers évoquent la présence de «corps étrangers» (morceaux de bois, vieux papiers ou sacs en plastique). L 'explosion aurait eu lieu «à partir du coeur» du tas, «c'est-à-dire très près ou au contact du sol». Or, affirment Van Schendel et Deharo, «le socle en béton d'origine a été rongé complètement jusqu'à la terre par le nitrate d'ammoniaque en plusieurs points, découvrant même le treillis en acier de la semelle en béton». Magistrats et policiers s'intéressent d'ailleurs beaucoup à la nature du sol. Ils s'étonnent de trouver du bitume, un hydrocarbure fortement déconseillé au contact du nitrate d'ammonium, à certains endroits, sous la chape. Quant au soufre, retrouvé lui aussi sous la dalle, il provient sans doute d'une production ancienne.
L'enquête bute toujours sur un mystère: la nature exacte du «mécanisme initiateur»
A ces «négligences», faut-il ajouter des erreurs de manipulation? La veille de la catastrophe, de 15 à 30 tonnes d'ammonitrates ont été transférées du bâtiment 17 bis vers le hangar 221. Or ces engrais auraient été traités avec un produit organique antihumidité non homologué. Ce même 20 septembre, une note de la direction d'AZF insistait justement sur le renforcement des mesures de sécurité, du fait de la multiplication d'incidents depuis le printemps... L'enquête bute cependant toujours sur un mystère: celui de la nature exacte du «mécanisme initiateur» (l'étincelle). L'hypothèse privilégiée reste celle d'une réaction chimique plutôt que d'un amorçage par roquette ou par explosif, dont on n'a retrouvé aucune trace sur les lieux. La thèse de l'attentat se heurte, selon les enquêteurs, à une «absence d'éléments sérieux». Ils ont matérialisé la position du personnel dans le hangar 221 grâce à un logiciel informatique. Ils ont reconstitué les mouvements des ouvriers blessés ou décédés jusqu'à trois minutes avant le drame. Et le dernier témoin vivant dit n'avoir rien remarqué d'anormal.
Dans le contexte des attentats survenus aux Etats-Unis, la piste islamiste a été aussitôt envisagée. Les policiers du SRPJ ont d'ailleurs obtenu un témoignage troublant: la veille du drame, trois intérimaires d'origine maghrébine ont eu une altercation avec des livreurs qui arboraient un drapeau américain dans la cabine de leur camion. Les manutentionnaires en question sont morts dans l'explosion. Or, en autopsiant l'un d'eux, la médecin légiste a remarqué qu'il portait deux slips, deux caleçons et un short sous son pantalon. Il pourrait s'agir, a-t-elle expliqué, d'une protection symbolique utilisée par les kamikazes islamistes pour profiter des vierges censées les attendre au paradis. Les services étrangers, israéliens notamment, ont été sollicités. A ce jour, ils n'auraient pas connaissance d'un tel procédé.
De leur côté, les RG ont passé au crible la vie de l'intérimaire. Un temps, ils l'ont soupçonné de connexions avec un groupe islamiste implanté à Toulouse. Selon la PJ, vérification faite, l'intérimaire n'avait rien d'un extrémiste. Cet homme filiforme portait plusieurs sous-vêtements parce qu'il était complexé par sa maigreur, affirme sa compagne. Pour le SRPJ, la thèse de l'implication du manutentionnaire se heurte surtout à une impossibilité matérielle. Il est mort à son poste de travail, dans une zone proche du hangar 221, mais il n'a pas été repéré aux abords directs de l'entrepôt avant l'explosion. «Cette piste a été totalement abandonnée», assure une source proche du dossier. Le choix de la cible ne plaide d'ailleurs guère pour l'hypothèse terroriste: une explosion à la Société nationale des poudres et explosifs, située de l'autre côté de la Garonne, aurait été autrement plus meurtrière. L'acte de malveillance? A en croire Van Schendel et Deharo, des éléments techniques (contestés par d'autres experts) infirment l'hypothèse d'un geste criminel. «Le tas n'aurait pu exploser que s'il avait été amorcé très correctement en plusieurs endroits, et à coeur, avec un procédé de mise à feu visant à générer l'explosion instantanément», estiment-ils. L'enquête, qui devra déterminer les responsabilités locales, voire nationales, avance sous haute tension. Des témoins, sollicités par la PJ, auraient été approchés par des équipes disant appartenir à TotalFinaElf. Par précaution, des CRS sont encore déployés jour et nuit autour du cratère.
Eric Pelletier
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