Encerclé par trois usines Seveso, Mardyck vit désormais dans l'angoisse.
Mardyck est un village perdu. Sur la route qui mène aux usines pétrochimiques, à la raffinerie et au terminal gazier, des peupliers à gauche, une voie ferrée à droite. Et puis, d'un coup, après un tournant et une pente douce, le voilà. Un mirage. Avec son église, sa mairie, son café et sa petite école, Mardyck a l'air d'un village de campagne. Sauf qu'il est encerclé par trois usines cumulant tous les risques: incendie, explosion, nuage toxique. Classées Seveso, ces usines comptent parmi les plus dangereuses de France. «Le village gaulois», disent les habitants de la région. Mardyck était là avant Jules César, deux millénaires avant TotalFina, Copenor, Stocknor. Pourtant, dans cet univers de cuves gigantesques, de torchères menaçantes et de tuyaux enchevêtrés, c'est désormais lui qui semble avoir été posé par erreur. C'était, à l'ouest de Dunkerque, un bourg de maraîchers et de pêcheurs. Jusqu'à ce qu'en 1959, arrivent les premières installations. Dans le village, le bruit des usines remplace le bruit de la mer. Les gens ne s'en émeuvent pas. Elles représentent l'emploi et la richesse. «C'était le progrès, on n'avait pas peur», raconte un vieil homme. Chaque été, 7 000 personnes se baignent tous les jours au pied de la digue du Braek, cinq kilomètres de plage coincée entre les usines et la mer. «Strictement interdite au public», indiquent des panneaux menaçants. Mais noire de monde dès les premières chaleurs. Plus de 1 000 enfants des écoles des communes alentour continuent chaque semaine de venir prendre des leçons de natation dans la piscine.
Courtisé. Mardyck a longtemps été le village le plus riche de France. La taxe professionnelle a payé ce qu'aucun village de 372 habitants ne peut s'offrir: piscine avec sauna, solarium, tennis, salle de sport, gratuits pour les Mardyckois. Un train de vie exceptionnel. A tel point que Dunkerque, à 13 kilomètres de là, s'est mis à courtiser le village. Pour obtenir de lui l'association de son village à Dunkerque, on raconte qu'un maire de Dunkerque aurait jadis «saoulé au whisky» un maire de Mardyck. Un épisode implicitement confirmé par l'ancien sous-préfet, Yves Bonnet, aujourd'hui député UDF de Cherbourg, qui se souvient lui aussi que l'association avait coûté «beaucoup de whisky». La taxe est tombée dans l'escarcelle de Dunkerque. «Le soir du vote, le maire a dû être escorté par les gendarmes pour rentrer chez lui. Les gens étaient furieux.» Malgré les drames de Seveso, en Italie, et de Bhopal, en Inde, personne ne s'est méfié. «On se disait: "C'est l'étranger, ils sont pas au point, ils font ça avec du fil de fer." J'aurais jamais pensé que ça pouvait arriver chez nous», soupire Gérard Blanchard, le maire du village. Depuis la catastrophe de Toulouse, les habitants ont changé de regard. «Je vois beaucoup plus les usines qu'avant, confie Arnaud Morice, un des habitants les plus remontés. Quand la torchère se transforme en boule de feu, la nuit, je suis inquiet.» On se souvient de vieilles frayeurs: «Dans les années 80, il y a eu le feu à Copenor, raconte Anita, qui gère le bistrot sur la place du village.ÊL'incendie a duré trois jours et trois nuits. J'ai eu très peur. Il y avait des CRS partout, qui empêchaient les uns de sortir de chez eux et les autres de rentrer dans le village. On n'a jamais réellement su ce qui s'était passé.» La grosse crainte, c'est «l'effet domino»: une usine prend feu, explose, les autres suivent. «C'est sûr que si ça pète, on n'aura pas le temps de dire trois Pater et deux Ave. On aura le temps de rien du tout. Ici, c'est quatre fois plus grand que Toulouse», soupire le maire.
«Je ne supporte plus du tout le bruit, raconte Martine. Je suis tout le temps sur les nerfs. Quand les torchères se mettent en route la nuit, ça fait un boucan du diable. On croirait qu'il y a le feu dans la chambre.» Elle poursuit: «Ça fait deux ans que je veux partir. Mes enfants font de l'asthme. On avait trouvé un acheteur. On devait partir dans la Creuse, les cartons étaient faits. On a discuté un moment sur le trottoir et, tout à coup, on a entendu un gros boum. Alors, ça a été un "non" catégorique.» Malgré tout, les maisons se vendaient encore bien, avant Toulouse. Des lotissements ont même été bâtis après la directive Seveso de 1982. «C'étaient de vieux permis de construire, il fallait terminer le lotissement. On voulait repeupler le village, pour sauver l'école», plaide le maire. Nadia Morice est arrivée en 1989. «Avant, on habitait Maubeuge. On a toujours eu l'habitude de vivre à côté des usines. On ne soupçonnait pas les dangers. Le notaire ne nous a jamais précisé qu'on s'installait à côté de trois sites Seveso.» Elle n'a pas fini de payer sa maison, mais estime que sa valeur a diminué de moitié.
Nouvelle loi. Dans le village, environ un tiers les habitants veut partir, un autre tiers voudrait rester, souvent les plus âgés. «On parle trop de nous, c'est pour ça que la valeur des maisons baisse. Que la télé nous foute la paix», marmonne un habitant qui refuse de partir. Un collectif de défense s'est créé. Tous ne souhaitent qu'une chose: récupérer leur argent. On compte sur une nouvelle loi, encore à l'état de projet, qui prévoit une indemnisation des habitants sur la base de la valeur de leur maison, hors présence des usines. Le fonds serait alimenté par les industriels, l'Etat et les collectivités locales. Si elle est adoptée, ce serait la deuxième vague d'indemnisation du village. En 1959, quand les Domai nes ont acheté les terres des cultivateurs pour y installer les usines, il y a eu peu de litiges. «Ça a été payé au juste prix. C'était même l'aubaine du siècle», racon te un ancien maraîcher. «On manquait pas de courage, mais on faisait tout à la main. C'était très dur. On ne trouvait plus personne pour venir travailler dans les champs. Tout le monde partait dans les usines. Usinor payait deux à trois fois plus cher, et c'était moins fatigant que la terre. Un véritable exode».
Par Haydée SABERAN
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