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 Source : Nouvel Observateur (18/01/2002)    Source : La Depeche (20/01/2002)
[Articles du 18/01/2002] - [ Periode : 01-2002 (68 articles)] - [ Source : Valeurs Actuelles (6 articles)]

Article paru le 18/01/2002 - Cet article est la propriété du journal ou société : Valeurs Actuelles

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Toulouse : La vérité cachée


Révélations : Non, les Toulousains ne sont pas fous : il y a bien eu deux explosions le 21 septembre. Et une analyse mathématique de leurs traces acoustiques indique que la première n’a pas eu lieu à AZF… mais très vraisemblablement à la SNPE !

Les choses bougent à Toulouse. Quatre mois après les faits, on n’a sans doute jamais été aussi près de toucher du doigt “la” vérité. La vraie. Elle va énormément déranger. Beaucoup d’intérêts entrecroisés. Elle vient d’un côté où nul ne l’attendait. Raison d’Etat ? Mensonge d’Etat ? Simple bêtise ? Toujours est-il que cette vérité-là a été accouchée au forceps, “par la bande”, grâce à une poignée d’incrédules, adeptes de ces sciences “dures” impitoyables maths et physique… qui ne pardonnent rien. Des individus qui ne roulent pour personne dans ce dossier miné. Rien à gagner, hormis des factures de téléphone et d’Internet exorbitantes pour des particuliers. Aujourd’hui, ils sont légitimement fiers d’avoir trouvé la clé de l’énigme. Ils en sont sûrs. Tout leur donne raison. Les validations pleuvent de tous côtés. Mais ils préfèrent rester anonymes, dans l’immédiat, pour préserver leur tranquillité. Nous nous sommes engagés à respecter leur souhait. En échange, ils nous ont expliqué… Que s’est-il réellement passé le vendredi 21 septembre, à 10 h 17 du matin, dans le complexe pétrochimique classé Seveso II du sud-ouest toulousain ? Réponse (inédite et hautement probable) : une première explosion fortement “couplée au sol”, souterraine, à la Société nationale des poudres et explosifs (SNPE). De quelle origine ? Nul ne le sait, c’est à la nouvelle enquête qu’il appartiendra de le déterminer. Cette première explosion a entraîné des désordres majeurs dans la grosse alimentation électrique de la SNPE. Ces désordres se sont répercutés, sous forme d’arcs électriques souterrains et de surface des éclairs en quelque sorte –, sur une bande de terre hérissée de poteaux aux arêtes vives et de hangars métalliques allant en ligne droite de la SNPE au transformateur de 63 000 volts du dépôt de la Semvat (la société des bus toulousains), à plus d’un kilomètre de là (lire Paris-Match du jeudi 10 janvier). Au beau milieu de cette bande de terre soudainement électrifiée se trouve le fameux hangar 221 de l’usine Azote de France (AZF) et son tas d’environ trois cents tonnes de nitrate d’ammonium, un engrais agricole banal, déclassé à cause de la taille des granulats qui le composent. La fatalité a voulu que l’éclair principal de cet arc électrique température interne évaluée à 4 600o C, tous les manuels de soudure à l’arc vous le diront ait suivi une ligne qui l’a conduit à maintenir quelques instants cette formidable quantité d’énergie externe sur un ou plusieurs mètres carrés du tas d’ammonitrate. Et pour le coup, tous les chimistes vous le diront aussi, cela oui, trois fois oui, a suffi à faire exploser AZF et à ravager Toulouse ! Pour résumer : il y a eu deux explosions distinctes, en deux sites distincts, mais voisins (environ huit cents mètres de distance), la seconde (à AZF) étant la conséquence directe de la première (à la SNPE), par une sorte d’effet dominos de nature électrique entraîné par la première, dont l’origine reste à expliquer.

Une aversion prononcée pour les vérités d’État.

Dit comme cela, on a l’air de se vanter ou d’affabuler. Que les choses soient donc claires : Valeurs Actuelles ne revendique en rien la paternité intellectuelle de tout cet exposé. Il ne fait que rendre publics, après maints recoupements, les résultats inédits, qui semblent totalement dignes de foi, d’une enquête indépendante. Elle a été conduite par une petite équipe de scientifiques bénévoles, armés d’un solide bon sens, d’une vaste culture mathématique et d’une aversion prononcée pour les “vérités” assénées d’autorité, fussent-elles d’Etat. Une équipe qui vient d’arriver à une conclusion aussi étonnante qu’intellectuellement convaincante. Jusqu’à ces derniers jours, l’enquête judiciaire officielle, sur laquelle un point a été fait ce mardi 15 janvier, à l’occasion de la rentrée judiciaire toulousaine, continuait imperturbablement de privilégier la thèse de l’accident chimique survenu dans un « dépotoir » où l’on aurait accumulé les « négligences ». L’explosion d’une partie du tas d’environ trois cents tonnes de nitrate d’ammonium entreposé dans le hangar 221 de l’usine AZF trente morts, trois mille blessés, vingt-cinq mille logements endommagés, des milliers d’emplois en chômage technique ou menacés de disparition, des centaines de millions d’euros de dégâts –, serait due, si l’on a bien compris, à un « phénomène d’auto-inflammation ». Cette étrange « combustion spontanée » de l’ammonitrate serait liée à un lent et complexe processus de dégradation, inconnu jusqu’alors, où se sont trouvés mêlés, au fil du temps et des hypothèses, l’humidité, le contact avec une foultitude de produits organiques fioul échappé d’un chariot élévateur, bitume, déchets de papier ou de carton, cadavres d’animaux, on en passe et des meilleures… voire d’autres substances chimiques, en particulier du chlore. Autant de “pistes” successives qui rebondissent les unes sur les autres depuis de longues semaines, sans jamais emporter l’adhésion, et qui ont toutes au moins trois points communs : elles laissent profondément sceptiques l’écrasante majorité des chimistes indépendants spécialistes du nitrate d’ammonium, qui répètent à l’envi que cet engrais agricole est un composé stable nécessitant l’apport extérieur d’une formidable quantité d’énergie pour être “amorcé” et se transformer en explosif ; elles accablent AZF, filiale du groupe TotalFinaElf, pour l’incurie présumée de ses conditions de stockage : en jouant sur le parallèle, il est vrai tentant, avec la catastrophe de l’Erika, elles engagent donc en priorité la responsabilité juridique et financière du groupe pétrolier, et exonèrent du même coup tout autre responsable potentiel ; elles ne permettent pas, en l’état, d’intégrer de manière rationnelle de nombreux témoignages discordants recueillis par les enquêteurs du SRPJ dans les heures et les jours qui ont suivi la catastrophe, et qui semblent, de fait, avoir été soigneusement laissés de côté par les magistrats instructeurs et leurs experts. En particulier, la thèse officielle ne parvient ni à expliquer que des milliers de Toulousains, y compris sur le site d’AZF, ont entendu deux explosions nettement séparées par une poignée de secondes, ni à assimiler les phénomènes électriques ou électromagnétiques pour le moins bizarroïdes perçus juste avant l’explosion du hangar 221 par un certain nombre de survivants qui se trouvaient sur place, sans parler des éclairs ou des arcs lumineux observés dans les parages, qui avaient même conduit à évoquer l’hypothèse d’un tir de roquette ou de missile. Et qui ne sont, finalement, que le fruit de la réverbération dans l’air des arcs électriques en boucle à l’origine de l’explosion 2, celle d’AZF. Acoustique, électricité, lumière : ces trois données essentielles pour résoudre l’énigme, et pourtant a priori fort éloignées de l’univers de la chimie ont très vite intrigué quelques esprits pétris de géométrie. En particulier un médecin toulousain dont le cabinet a été dévasté le 21 septembre, un mathématicien, agrégé et docteur, qui a enseigné dix ans en “maths-spé-M’” au lycée Pierre-de-Fermat, à Toulouse, avant de former des agrégatifs à l’université de Jussieu, un autre mathématicien parisien de renom, et plusieurs correspondants issus des sciences “dures” avec lesquels ils ont coutume de confronter régulièrement, via Internet, leurs interrogations scientifiques du moment, comme d’autres jouent au Scrabble ou font des mots croisés.

Il n’y a pas eu une mais deux explosions….

Ces Sherlock Holmes chevronnés qui se tiennent naturellement à la disposition de la justice ont donc décidé de mener leurs propres investigations en s’en tenant aux faits. Et en traitant la question comme un problème de géométrie, « discipline malheureusement de moins en moins enseignée », comme le regrette un de ces “matheux”. Leurs conclusions présentes sont pour ainsi dire sans appel. Primo, les Toulousains n’ont pas rêvé : il n’y a pas eu une mais bien deux explosions distinctes, espacées dans le temps d’environ huit secondes (ils possèdent de solides indices que le délai entre les deux “bangs” soit de cet ordre) ; deuxio, si l’épicentre de l’explosion 2, celle qui a ravagé Toulouse, se trouve bien dans le hangar 221 d’AZF, il paraît mathématiquement impossible que l’épicentre de l’explosion 1 soit situé au même endroit ; tertio, l’ensemble des points susceptibles d’avoir été l’épicentre de cette explosion 1 forme une branche d’hyperbole qui ne s’approche jamais à moins de cinq cents mètres de l’usine AZF… mais qui traverse de part en part, à environ huit cents mètres à l’est, la SNPE : une société d’Etat aux activités civiles et militaires stratégiques couvertes par le “secret-défense”, et qui fabriquait notamment les carburants de la fusée Ariane V et du futur missile balistique M51 ! Corollaire : l’explosion 1, perçue à des kilomètres à la ronde comme très brève, très sèche et très courte plusieurs témoins parlent d’un « pneu géant qui éclate » et ont ressenti une secousse, sans dégâts matériels apparents –, a été très probablement souterraine. A contrario, pour l’explosion 2, celle du hangar 221, l’essentiel de l’énergie déployée s’est propagée en surface : c’est elle qui a tout dévasté, environ huit secondes plus tard, et qui a en quelque sorte effacé sur le site les conséquences de la première. Allez prouver à présent que les dégâts constatés à la SNPE proviennent de l’explosion 1 et non de l’explosion 2 : on vous souhaite bien du plaisir… Comment la petite équipe “amateur” en est-elle arrivée là ? Grâce à de banales cassettes audio, à des logiciels professionnels utilisés par les ingénieurs du son (comme SoundForge ou WaveLab), et à un maximum de cellules grises…

Le témoignage clé de Laurence B….

Très vite, un témoignage clé les a mis sur la piste : celui de Laurence B., jeune et fraîche recrue d’AZF, qui se trouvait au moment des faits dans une salle de réunion à moins de cinquante mètres du hangar 221, en entretien avec son chef, l’ingénieur Mauzac. Dans le même petit bâtiment se trouvaient six personnes, dont trois ont été tuées. Laurence B. a survécu par miracle, protégée par une dalle de béton qui, en s’effondrant sur elle sans l’écraser, lui a ménagé un petit tunnel de survie. M. Mauzac n’a pas eu cette chance : il a agonisé jusqu’à 12 h 30, le 21 septembre, après avoir été extrait des gravats. Or Laurence B. fait une relation très précise de ce qui s’est passé juste avant qu’elle perde connaissance : elle se souvient de l’explosion 1, brève, sèche et élastique, et explique que M. Mauzac, après une imperceptible hésitation, a continué de lui parler sans faire mine de s’inquiéter outre mesure. Ce n’est que quelques secondes plus tard nettement plus de trois secondes, ce qui est énorme à une si faible distance, et exclut totalement qu’il s’agisse du même événement que s’est produite la formidable explosion 2 qui a tout dévasté. Ce témoignage n’a d’ailleurs rien d’isolé. Des milliers de personnes, parfois par paquets de plusieurs dizaines comme dans telle administration de la place des Carmes, dans telle salle de cours de l’hôpital Hôtel-Dieu, dans telle salle de conférences de l’hôtel Mercure, en plein centre-ville, où Mme Mauzac, la femme de l’ingénieur, organisait un colloque de chimistes ont entendu l’explosion 1 jusqu’à cinq kilomètres de distance, dans des locaux fermés. Puis l’explosion 2, et son cortège de ruines et de vitres soufflées. Que leur a-t-on expliqué ? Qu’ils avaient été victimes d’une « illusion sismique » comme on parle d’illusion d’optique, au motif que les ondes sismiques, qui se propagent sous terre à des vitesses comprises entre 1 et 8 kilomètres par seconde (km/s), les avaient atteints plus rapidement que le son et l’effet de souffle qui, eux, voyagent dans les airs aux alentours de 340 mètres par seconde (m/s) (indépendamment de la vitesse du vent, qui peut modifier sensiblement ce paramètre : il se trouve qu’il soufflait ce jour-là, à l’heure dite, un léger vent d’autan constant d’orientation est-sud-est, ouest-nord-ouest de 7,2 mètres par seconde, dont l’influence s’avère négligeable en l’espèce). Cette théorie “l’illusion sismique” a été abusivement accréditée par les médias dès la fin septembre, après la publication d’un rapport remis, six jours après la catastrophe, à la Direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (Drire) de Toulouse par l’équipe de sismologie regroupée autour de Matthieu Sylvander à l’OMP (l’Observatoire de Midi-Pyrénées, une section de l’université Paul-Sabatier de Toulouse). Avec un luxe de précautions et de conditionnels que la presse a eu tôt fait de passer par profits et pertes au grand dam de M. Sylvander, qui se dit, en privé, très troublé de ce qu’on lui fait endosser –, ce rapport expliquait notamment que dans certaines conditions les ondes sismiques dites de type P provoquées par des tremblements de terre “conséquents” peuvent engendrer des grondements sourds que l’on entend plus tôt, selon un mécanisme de réfraction dans l’air d’une petite fraction de ces ondes. Cette petite fraction ayant commencé son trajet dans le sol, où elle va grosso modo dix fois plus vite que le son dans l’air, le son entendu arrive donc plus tôt que s’il avait effectué tout son trajet dans les airs. Le rapport AZF-Drire rappelait ce phénomène et signalait que, sous certaines conditions draconiennes très précises, il aurait pu expliquer que des milliers de Toulousains aient cru entendre deux explosions alors même qu’il aurait pu n’y en avoir qu’une seule. Mais ce rapport précisait aussi qu’à faible distance de l’épicentre de l’explosion typiquement le cas de Laurence B., mais aussi d’autres survivants sur le site le phénomène de grondement sismique ne pouvait pas jouer et que le “bang” ne pouvait être entendu qu’une seule fois. Il n’empêche que, depuis trois mois et demi, la thèse “officielle” étant martelée, bien des Toulousains n’osent plus évoquer qu’à mi-voix, comme s’il s’agissait d’un délit, l’hypothèse des deux explosions distinctes. Une hypothèse qui ne rentre pas du tout dans le cadre de l’enquête judiciaire officielle, orientée dès le départ autour d’une explosion et d’une seule dans le hangar 221 d’AZF, dont il s’agit de déterminer la cause.

Plusieurs enregistrements audio de bonne qualité.

Si l’on admet, en revanche, que deux explosions distinctes se sont produites à un bref intervalle (environ huit secondes), la première question à se poser est de savoir si elles ont eu lieu au même endroit, ou si leurs épicentres sont distincts. C’est ici qu’intervient l’acoustique, et l’apport essentiel de nos mathématiciens. L’idée de recherche était la suivante : disposer de plusieurs enregistrements audio de bonne qualité, réalisés ce matin-là en divers points de l’agglomération toulousaine, à des distances et dans des directions différentes, pour vérifier si l’intervalle de temps entre les deux explosions restait constant ce qui impliquait un épicentre unique pour les deux explosions ou s’il variait en fonction de la position de l’observateur, ce qui impliquait deux épicentres distincts (voir figures 1 et 2, page de gauche). Une première cassette est arrivée le 15 décembre. Une seconde le 20. Il y en a eu deux autres depuis. Elles concordent. L’une a été enregistrée lors d’une conférence à l’Hôtel-Dieu. L’autre lors d’un cours à l’école de chirurgie dentaire de Rangueil. Les intervalles de temps entre les deux explosions, mesurés avec une précision de l’ordre de 5/100e de seconde, font apparaître un écart pleinement significatif de 2,3 secondes entre les deux enregistrements. Et permettent de dessiner les deux branches d’une hyperbole à l’aide du logiciel Cabri, le meilleur pour les coniques, et il est français ! –, c’est-à-dire l’ensemble des points où est susceptible de s’être produite l’explosion 1. La branche utile traverse de part en part l’usine SNPE, entre les deux bras de la Garonne. CQFD. Et maintenant ? Dans son roman Sur les falaises de marbre, Ernst Jünger écrivait qu’« une erreur ne devient une faute que lorsqu’on ne veut pas en démordre ». Quant à George Bernard Shaw, réputé pour sa causticité, il expliquait avec humour que « les architectes dissimulent leurs erreurs sous du lierre, les médecins sous la terre et les ménagères sous de la mayonnaise ». Mais il ne précisait pas ce qu’utilisent les procureurs…

Thierry Deransart


 Source : Nouvel Observateur (18/01/2002)    Source : La Depeche (20/01/2002)

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