Pourquoi a-t-on installé l'usine AZF face à un hôpital psychiatrique? Pourquoi, ensuite, a-t-on laissé construire des habitations près de cette zone à risques? Enfin, sur quels critères s'est-on fondé pour définir les périmètres dits «d'intervention»?
Dimanche 7 octobre 2001 69, chemin des Etroits: avant de s'asseoir sur la terrasse dévastée du Bikini, Hervé Sansonetto vérifie machinalement la solidité des chaises. Derrière lui, un amas de ferraille: l'ex-boîte de nuit préférée des jeunes Toulousains. Un peu plus haut, sur la colline, sa maison, murs déchirés, vitres éclatées. «Jamais, jamais je n'avais imaginé un tel scénario. Le bruit infernal, oui; les odeurs intolérables, oui. Depuis des années, nous protestions contre la pollution. Mais ça!» Trois semaines après la catastrophe, l'homme est encore sonné. «Nous sommes arrivés ici il y a dix-huit ans. C'était beau, il y avait de la verdure et, en bas, la Garonne. Si l'explosion avait eu lieu la nuit, c'était le carnage: nous pouvions recevoir jusqu'à 500 jeunes pour un concert.»
Hervé Sansonetto regarde le ciel exceptionnel de cet été indien: «Vous voyez ce bleu-là, cette transparence, nous ne les avions jamais vus avant, quand ces maudites usines nous enfumaient.» Son regard fixe un point: «La seule chose que je voudrais, c'est qu'ils détruisent ce foutu totem.» Le totem, c'est la haute tour où s'inscrivent, au sommet, les lettres que toute la France connaît: AZF. Il est là, juse en face, de l'autre côté de la Garonne, et il surplombe un champ de ruines. Sur une centaine d'hectares, bâtiments effondrés, poutres métalliques tordues, maisons volatilisées, toits envolés, voitures explosées, spectacle de guerre…
Vendredi 21 septembre 2001, 10 h 17
Le photographe Ulrich Lebeuf boit un café avec un copain dans la cour des éditions Milan, à environ 800 mètres du pôle chimique. Ils entendent un puissant claquement. «J'ai vu une vive lumière et, tout de suite après, une déflagration d'une violence inouïe, un nuage orange qui fonce vers nous à toute allure. Nous nous sommes retrouvés par terre. Quelqu'un a dit: ''Ça vient d'AZF.''» A part les voisins de l'usine, personne ne comprend encore d'où est partie la déflagration. Chaque Toulousain, même le plus lointain banlieusard, croit qu'une bombe vient de sauter près de chez lui. Les rumeurs les plus folles courent. Panique. Tout le monde sort. Aucune des sirènes du pôle chimique, pourtant censées donner l'alerte en cas de danger, ne sonne. Celle d'AZF a sauté. Celle de Tolochimie reste muette. Quant à la SNPE (Société nationale des poudres et explosifs), malgré les recommandations consignées dans le plan d'intervention d'urgence, elle n'en possède pas. Toutes les télécommunications sont coupées. Pompiers et forces de police tentent de s'organiser (lire l'article "Le jour où la ville a explosé"). Des centaines de blessés commencent à sillonner les rues, ensanglantés, hébétés. Au début de l'impasse Langlade, Antoine Dudillot, 83 ans, un ancien ouvrier de la SNPE, jardine. Il voit sa maison voler en éclats, se précipite dans la cuisine. Sa femme est allongée par terre, grièvement blessée aux jambes. Elle n'est pas la seule. La puissance du souffle est telle qu'à 800 mètres de là, au parc des expositions, situé en aval du pôle chimique, les poutres métalliques se tordent. A côté, dans la cité du Parc, qui jouxte le Mirail, Jean-François Grelier, professeur à l'IUFM, était assis à sa table de travail: «La porte-fenêtre m'a balancé dans l'escalier. Je me suis relevé. Mon visage et mon cou saignaient fort. Tous ceux qui me voyaient s'évanouissaient.» Il est défiguré, sa carotide touchée. Il perdra 3 litres de sang et ne devra sa survie qu'à un extraordinaire sang-froid.
Et puis il y a l'hôpital psychiatrique Marchant, le plus exposé: il est situé de l'autre côté de la route d'Espagne, face à AZF. De l'extérieur, ce magnifique bâtiment classé paraît intact. A l'intérieur, tout a implosé. Plafonds effondrés sur les lits des malades. Débris de verre, de cloisons, de matelas... «C'est un miracle qu'aucun de nos malades n'ait été tué, s'étonne encore Jacques Lecour, cadre infirmier. Nous avions fini les toilettes. Il faisait beau, ce matin-là, tous étaient dehors.» Après l'explosion, le personnel réunit les 350 malades et attend leur évacuation, tandis que les pompiers amènent aux urgences de l'hôpital les premiers blessés: «Nous n'étions pas équipés pour ce genre de soins. Nous nous sommes partagés, les uns donnant les premiers secours, les autres rassurant les malades.» L'évacuation ne commencera qu'à 17 h 30... Les malades seront séparés et envoyés à Lannemezan, Limoux, Saint-Lizier, Montauban... loin, très loin de Toulouse.
Samedi 20 octobre, maison d'accueil spécialisée de Saint-Lys
Jacques Lecour rejoint l'équipe qui s'occupe des patients les plus fragiles. Le service n'est pas adapté à leur cas. Ils errent dans les couloirs, certains nus, d'autres prostrés. «Ils sont choqués et n'arrêtent pas de maigrir», commente Philippe Gavignaud, aide-soignant. «Avant, les malades dormaient en chambre seule. Aujourd'hui, ils sont entassés dans des dortoirs. La nuit, nous devons les attacher à leur lit pour les rassurer et empêcher les bagarres. Le jour, il n'y a pas grand-chose à faire, c'est intenable.» Tout le personnel de Marchant s'est mobilisé: dix-huit heures de travail par jour, dont trois ou quatre perdues en transport. Leur récompense? «Même ceux-ci, les plus perdus, nous reconnaissent et nous font la fête quand ils nous voient», dit Jacques Lecour. A l'accueil de l'hôpital, Marie Vidal, elle, est indignée: «Nous n'avons pas eu de morts, donc nous ne comptons pas. Regardez, dans les journaux, il y a des cartes qui recensent toutes les entreprises touchées. Vous voyez Marchant, vous? Non, on nous a oubliés. Et quand on dit qu'au départ l'Onia s'est installé à la campagne, c'est une plaisanterie! L'usine s'est installée devant Marchant. Nous étions là soixante-dix ans avant eux.» L'Onia? Ne cherchez pas. Si tous les journaux aujourd'hui parlent d'AZF-Grande-Paroisse et de leur propriétaire, TotalFina, les Toulousains, eux, disent l'Onia - Office national de l'industrie de l'azote - l'ancêtre d'AZF. Et l'on reproche aujourd'hui aux responsables locaux et nationaux d'avoir laissé construire une ville autour de l'Onia. Bilan de la catastrophe: 30 morts, 3 000 blessés, 15 000 logements dévastés et 10 milliards de francs de dégâts. Est-ce le pôle chimique qui a été implanté trop près de la ville ou la ville qui s'est étendue au mépris du danger?
Jeudi 4 octobre, colline de Pech-David
Christian Béringuier, géographe à l'université du Mirail, balaie du regard la zone sinistrée: «Bien sûr que Marchant était déjà implanté sur la route d'Espagne.» Construit en 1858, dans la grande tradition des asiles d'aliénés, l'hôpital constituait déjà à lui seul une vraie petite ville, avec son café, ses commerçants, ses artisans, ses jardiniers. «Autour, à l'époque, le sud de Toulouse était traversé de quelques axes routiers, très peuplés, séparés par de vastes terres agricoles.» La Poudrerie (qui deviendra la SNPE), installée sur l'île du Ramier, et dont l'histoire est émaillée d'explosions depuis le XVIIIe siècle, glisse progressivement vers le sud de l'île et prend une ampleur extraordinaire au moment de la guerre de 14-18. En 1927, elle voit s'implanter, sur l'autre rive de la Garonne, l'Onia, qui vient d'obtenir l'exploitation d'un brevet allemand pour fabriquer des engrais azotés. Un trésor de guerre. Antoine Dudillot habite déjà dans le quartier avec sa mère, ouvrière à la Poudrerie. Il a 9 ans et un passé cuisant. A 3 mois et demi, tombé sur le radiateur fourni par l'usine, il est gravement brûlé. On ne l'appellera plus que «la Pelade». Ses copains se moquent de lui. Il fuit l'école et restera illettré. Un handicap dont il ne se remet toujours pas. Au fil des années, le pôle chimique devient le premier employeur de la ville: 3 000 ouvriers y trouvent un travail stable. L'urbanisation suit, d'abord pour loger les ouvriers à proximité. Puis, entre les deux guerres, sur d'anciens terrains appartenant à la Poudrerie, fleurissent les cités-jardins et les premiers logements collectifs destinés aux travailleurs du site, mais aussi aux employés municipaux et aux cheminots. C'est le début de l'accession à la propriété et du confort moderne. En 1937, Antoine Dudillot entre à la Poudrerie, bon gré mal gré. «C'était un travail très salissant et, moi, j'étais coquet. Mais ma mère le voulait...»
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, première alerte: le site chimique - SNPE et Onia - est l'une des cibles de l'armée ennemie. En décembre 1943, l'hôpital Marchant est évacué. Les malades sont dirigés vers Lannemezan, Tarbes, Auch, etc. Le 2 mai 1944, les obus tombent sur la SNPE... et sur Marchant! Antoine Dudillot était là, encore: «L'alerte avait été donnée. Tous les copains ont déserté la Poudrerie. Mais, moi, mon vélo était à plat. Je suis rentré dans un hangar pour regonfler les pneus. Boum! tous les obus tombent autour de moi. Un miracle que je n'ai pas été touché!...» Après la guerre, il faut reconstruire. L'argent manque, la grande migration vers la ville s'accélère. On construit des logements sociaux, les premiers HLM, les grandes barres. «A Empalot, il y a eu trois vagues successives, raconte Marcel Bruyère, travailleur social, arpenteur inlassable des rues de ce quartier voisin de la SNPE. A partir des années 30, l'ensemble Daste, à l'architecture soignée, un vrai petit paradis, puis Empalot-Poudrerie, qui date des années 50, 3 immeubles de 250 logements. Et, enfin, le gros morceau, Empalot-Daste, les grandes barres de 13 étages. Voilà, le décor est planté.» Partout, surtout rive gauche, près d'AZF, au Mirail, à la Reynerie, à Papus, à Gironis, à la Faourette, à Bordelongue, des immeubles surgissent, et puis des commerces et des écoles. Longtemps préservée, la belle colline de Pech-David, sur la rive droite, aurait dû attirer les riches bourgeois. Prudemment, ils évitent. La proximité du site chimique ne les attire pas. Mais pas du tout.
Dimanche 7 octobre, route de Seysses
Ernest Moretto, ancien ouvrier spécialisé d'Aéro-Sud, et son fils Christian, journaliste à La Dépêche du Midi, militant écologiste, se regardent, complices. Ce sont les pionniers de la lutte contre la pollution. «Nous avons vécu longtemps chemin des Etroits, à côté du Bikini, au bas de la colline de Pech-David, face à la SNPE, raconte Christian. Mais, dès le début des années 60, c'est devenu invivable. Un bruit continu de réacteur, des fumées irrespirables, des fuites, des accidents...» Plaintes, sommations, rien n'y fait. Le père prend un coup de sang à son retour de vacances, fin août 1979. Sous un brouillard épais, les feuilles de ses arbres sont grillées. Les examens de laboratoire décèlent de fortes «teneurs en nitrates et en chlorures». Lettres aux usines, au préfet, à la mairie, aux élus, plainte contre X: les Moretto fondent l'Association des riverains du site chimique, qui fusionnera avec Les Amis de la Terre, dont Christian devient le président pour Midi-Pyrénées. Il met inlassablement les autorités en garde contre les dangers du site: «Les industriels ont fait des efforts, pris progressivement des mesures de sécurité et mieux filtré les fumées. Mais, étant donné les produits manipulés - chlore, ammoniac, phosgène - et le rythme de production, la pollution continuait.» Aujourd'hui, Christian Moretto est découragé. Il se sent presque coupable de ne pas avoir su convaincre. En 1986, en pleine discussion sur une éventuelle extension de Tolochimie, la troisième entreprise du site, il écrit dans son journal que le pôle constitue une bombe au coeur de la ville: «Pourtant, je n'imaginais pas une explosion. Nous étions polarisés sur la pollution de l'air et de l'eau.»
Vendredi 19 octobre, manifestation du Capitole à la préfecture
Sinistrés, syndicalistes, Amis de la Terre, Motivé (es), DAL (Droit au logement), sympathisants, 1 500 personnes se rangent derrière la bannière du collectif Plus jamais ça, ni ici ni ailleurs. Trois semaines ont passé. Ils ne voient rien venir. Pas de réparations: les assurances réfléchissent. Les réquisitions de logements vacants se comptent sur les doigts d'une main. «Le centre-ville ne s'intéresse plus à nous et les journaux nationaux nous ignorent», lancent des gamines. Toulouse est victime d'une deuxième catastrophe: quand tout le monde croyait à un attentat, les yeux du pays se sont fixés sur la Ville rose. Puis le procureur a vite avancé qu'il s'agissait d'un accident à «99% de chances». Les yeux du pays sont alors retournés scruter l'Afghanistan, les Américains, Ben Laden et le bacille du charbon. Au coeur de la manifestation, on se divise sur la cause de la catastrophe. Un adolescent résume: «Si tu dis accident, t'es coco; si tu dis attentat, t'es facho: choisis!» On rit, mais l'idée est juste. Aujourd'hui, à Toulouse, les électeurs de gauche veulent croire à la thèse officielle de l'accident. A droite, on chuchote des rumeurs d'attentat. Il fait encore très beau sur Toulouse.
Lundi 22 octobre, à Ramonville, une banlieue de Toulouse
Henri Farreny est un homme qui refuse les oeillères. Elu de gauche, écologiste, professeur d'informatique à l'Institut national polytechnique, il participe activement au SPPI, le Secrétariat permanent pour la prévention des problèmes de pollution industrielle, une instance qui réunit administration, élus, entreprises, riverains, etc. Henri Farreny a une technique originale pour expliquer en images l'absurdité du «périmètre Seveso», censé renforcer la sécurité du site. Le 30 juin 1989, le préfet de région Jean Coussirou se fonde sur les directives Seveso pour établir le plan particulier d'intervention (PPI) en cas d'accident majeur. Une zone d'intervention de secours est alors dessinée. C'est une large «patate», selon l'expression de Farreny, calculée en fonction des éventuels rayons d'action des trois gaz toxiques majeurs: ammoniac, chlore, phosgène. On décide, comme si ces gaz étaient sous cloche, que le chlore peut provoquer un malaise sur un rayon de 1 500 mètres autour de l'usine, l'ammoniac, 1 600 mètres, et le phosgène (le fameux gaz moutarde, le plus dangereux de tous), 2 150 mètres. On trace trois arcs de cercle, qu'on réunit. On ne tient compte ni de la force du vent ni du souffle d'une explosion éventuelle: en fait, on ne tire pas les leçons de Seveso, qui avait vu le nuage de dioxine s'évader sur des kilomètres. Quelques mois plus tard, les responsables tracent un deuxième périmètre, le plan d'intervention générale (PIG), destiné à interdire la construction de nouvelles habitations à proximité du site. Le critère retenu alors n'est plus le «malaise», mais le risque de létalité en cas d'accident majeur. On retient celui de 50%: une «chance» sur deux de mourir en cas de catastrophe. On retrace des arcs de cercle en fonction de ce nouveau critère. Les rayons deviennent 894 mètres pour l'ammoniac, par exemple, et 900 mètres pour le phosgène... Le contour tracé, en forme de haricot, bien plus petit que la patate, délimite la «zone d'habitat interdit». Pas question d'y construire pour un particulier. Mais ceux qui sont déjà installés peuvent y demeurer. Malgré le risque. Et voilà comment l'hôpital Marchant, la discothèque du Bikini, l'entrepôt de bus, l'impasse Langlade, le chemin des Etroits et tous leurs habitants peuvent rester en zone interdite. «On croit rêver quand on voit ces tracés, s'étonne encore Henri Farreny. Résumons: dans le haricot, on ne peut pas habiter; dans la patate, on ne peut pas respirer. Et, entre la patate et le haricot, on peut habiter mais pas respirer.» Pourtant, combien sont-ils à habiter là en se pinçant le nez? Alain Ciékanski, architecte et nouveau président des Amis de la Terre, insiste sur l'obscurité des nouvelles cartes: «On a multiplié les parcelles et les sigles, incompréhensibles pour le profane. En tout cas, l'extension a continué.» Certes, il s'agit de «zones d'habitat interdit», mais il n'est pas interdit d'y reconstruire: ici un magasin Darty, ici un Speedy, là une multitude d'agrandissements permis aux entreprises, aux écoles, aux particuliers... Et au Bikini, qui se voit accorder, en 1992, 105 mètres carrés supplémentaires. Pour une scène et des coulisses. D'une capacité d'accueil de 300 personnes, on passe à 500... «Notre seule victoire, dit Farreny, c'est d'avoir empêché l'installation d'un lycée hôtelier, en 1993. Ils doivent nous remercier aujourd'hui!»
Lundi 22 octobre, à AZF
S'il n'y a qu'une personne à rencontrer pour comprendre le phénomène de focalisation des passions, c'est Serge Biechlin, le directeur d'AZF. L'usine et son orgueilleux totem cristallisent toutes les rancoeurs des Toulousains. Tous les dangers de la zone chimique, désormais, à leurs yeux, c'est AZF. La piste de l'accident étant largement privilégiée par la police, des rumeurs épouvantables circulent sur l'entretien du hangar 221, celui qui stockait le nitrate d'ammonium et qui a explosé. Biechlin erre dans les décombres de son usine, gardant un calme qui sidère. Il ne croit pas à l'accident. Il ne comprend toujours pas comment le hangar a pu exploser. Sur le site, 21 personnes sont mortes, dont 10 d'AZF - les autres appartenaient à des entreprises extérieures. «Mes ouvriers ont été traînés dans la boue. On oublie de dire qu'ils ont eu le courage de rester sur le site et d'assurer la sécurité de toutes les chaînes de production. Grâce à eux, le pire a été évité.» Biechlin montre le cratère de l'explosion: 63 mètres sur 47. Il marche comme dans un cauchemar, solidement encadré par deux cadres d'Atofina, dont dépend AZF.
Dimanche 21 octobre, cité du Parc
Jean-François Grelier est rentré. Une longue cicatrice barre son visage et son cou. Militant de Lutte ouvrière, il vit dans la cité. Enfin, il vivait, car son bâtiment, le plus touché, a été évacué. Le lotissement est petit, tout le monde se connaît. Il y a une vraie entente, une vraie solidarité entre tous. Fatia Ranem, une mère de famille, raconte. Le choc. La peur. L'impression que la guerre éclate. Téléphones coupés, informations contradictoires à la radio. Tout le monde descend. On craint que les immeubles ne s'effondrent. Les enfants? En classe. Vite, on les récupère à l'école Buffon, elle aussi endommagée. Tout le monde reste sur la pelouse. Les équipes de secours sont débordées, la cité du Parc, au bord du Mirail, panse seule ses plaies. «Nous sommes restés trois jours dehors, dit Leila Hamaizi. On couchait dans la voiture avec mes enfants. On ne voulait pas remonter. L'école a été fermée. Nous, on attendait. On ne savait même plus quoi. Il y a des habitants qui sont venus nous secourir.» Il y a aussi tous ceux qui agressent verbalement. Il ne fait pas bon avoir le type maghrébin par les temps qui courent... Quelques jours plus tard, la Sécurité civile passe. Certaines installations de gaz ne sont pas aux normes. Interdiction de s'en servir. «Nous avons appelé les propriétaires. Ils ont fait la sourde oreille... Plus de chauffage. Plus moyen de faire la cuisine.» Aujourd'hui, les enfants sont scolarisés dans les écoles alentour. Parfois loin. Les bus les ramassent après leurs tournées habituelles. «Ils arrivent là-bas à 11 heures. Ils repartent à 4 heures. Comment voulez-vous qu'ils ne prennent pas de retard?»
Samedi 10 novembre, à M'Toulouse, l'antenne spéciale lancée par Radio France, depuis le début de la crise, pour les Toulousains
Tous bénévoles, les animateurs et les techniciens se sont mis au service des sinistrés. Ce matin, Henri Farreny et Serge Biechlin débattent. Le patron d'AZF redit son incompréhension: après un mois d'investigations, rien n'explique l'accident. Farreny essaie d'analyser les responsabilités de l'Etat et des industriels dans cette cascade de négligences et d'erreurs. «Vous êtes excessif, monsieur Farreny», lance Biechlin. Non, il n'est pas excessif, Henri Farreny. Il parle très vite, c'est tout. Il a tant à dire! Ce 10 novembre, la femme d'Antoine Dudillot est toujours hospitalisée. Sa maison, toujours effondrée. Tous deux voudraient aller habiter un peu plus loin, pas trop quand même. Quand on a été marié toute sa vie à la Poudrerie, on le reste malgré tout. Jean-François Grelier, lui, attend toujours qu'une décision soit prise pour son immeuble de la résidence du Parc. Va-t-il être démoli ou réparé? Autorités et assurances ne sont pas d'accord. Du nouveau? «Oui, rien.» Hervé Sansonetto, le patron du Bikini, attend aussi la décision pour sa discothèque. Tout dépend d'une autre décision, plus fondamentale: le pôle chimique va-t-il fermer ou non? On dit que la décision pourrait être annoncée le 30 novembre, lors du grand débat avec Lionel Jospin prévu au Capitole. «Finalement, on a la société qu'on mérite», murmure Sansonetto. Les malades de Marchant sont toujours éparpillés sur quatre départements. L'auraient-ils mérité? «Autrefois, raconte Marie Duval, l'hôpital s'appelait Braqueville. Les Toulousains disaient: ''Quand le vent d'autan souffle, on entend crier les fous de Braqueville.''» Aujourd'hui, les fous se sont tus. Toulouse ne sait plus d'où vient le vent. Il commence à faire très froid dans la Ville rose.
Anne-Marie Casteret
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