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 Source : Le Figaro (28/09/2001)    Source : Le Figaro (28/09/2001)
[Articles du 28/09/2001] - [ Periode : 09-2001 (154 articles)] - [ Source : Le Figaro (22 articles)]

Article paru le 28/09/2001 - Cet article est la propriété du journal ou société : Le Figaro

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Les cinq raisons de s'interroger sur la thèse officielle


1. Le nitrate d'ammonium n'explose pas facilement

Les chimistes et les spécialistes des poudres et explosifs classent le nitrate d'ammonium parmi les «explosifs faibles». Ce qui veut dire que pour provoquer des catastrophes de l'ampleur de celle qui s'est produite à Toulouse plusieurs conditions - ou «facteurs déclenchents» - doivent être réunies. Dans son ouvrage sur «les explosifs occasionnels», Louis Médard, ingénieur général des poudres, est catégorique. Après avoir analysé par le menu les causes et les circonstances des dix grandes catastrophes survenues depuis 80 ans dans le monde, cet expert conclut que ces événements dramatiques «ont toujours été soit le résultat d'un tir à l'explosif dans une matière durcie, soit l'aboutissement d'un incendie prolongé (NDLR: de plusieurs heures) d'une masse importante de nitrate impur, contenant des matières organiques dans les cales d'un navire, c'est-à-dire dans des conditions de confinement».

Dans le cas du drame de Toulouse, le tir d'un explosif ne pourrait être que le fait d'un acte de malveillance ou d'un attentat terroriste. Une thèse que la police et les autorités judiciaires ont quasiment écartée d'emblée pour des raisons que l'on ignore toujours. Dès 12h31, soit un peu plus de deux heures après la catastrophe, une dépêche de l'AFP signalait que, «selon les premières constatations effectuées par la police, l'explosion serait probablement d'origine accidentelle». Pourquoi tant de hâte, alors que le périmètre venait juste d'être sécurisé et que les enquêteurs n'avaient matériellement pas eu le temps de recueillir indices et témoignages, dont certains pourraient pourtant s'avérer décisifs ?

En outre, le directeur de l'usine AZF, Serge Biechlin, a précisé au Figaro que «les restes de tous les appareillages sensibles situés à proximité du hangar ont été inspectés dans les jours qui ont suivi: aucun d'entre eux n'a explosé. Si projectile il y a, il ne peut provenir que de l'extérieur de l'usine» . Reste la seconde hypothèse privilégiée: un «accident» qui serait le résultat d'un manquement grave aux règles de sécurité ou de négligences de la part du personnel. Dans ce cas, toutes les conditions requises pour aboutir à une telle catastrophe (incendie de longue durée, confinement, etc.), sans une détonation initiale provoquée par le tir d'un explosif, ont-elles été réunies ?

2. Il n'y a pas eu d'incendie dans le hangar avant l'explosion

Plusieurs éléments permettent de l'affirmer. Si le feu avait pris dans le hangar, d'épaisses fumées rouge orangé se seraient dégagées par les orifices du bâtiment. Les détecteurs de chaleur présents dans l'enceinte auraient également fonctionné : ils sont restés silencieux. De plus, le local n'avait pas l'électricité et était éclairé à la «lumière du jour». L'hypothèse d'un court-circuit est donc à exclure. De toute façon, un incendie même prolongé est une condition nécessaire mais pas suffisante pour engendrer une explosion. Un exemple parmi d'autres : le 1er septembre 1946, à Toulouse, sur cette même usine aujourd'hui sinistrée, un magasin renfermant 200 tonnes de nitrate d'ammonium a été entièrement détruit par un incendie. Du bois incandescent est même tombé sur le nitrate, qui a fondu mais n'a pas explosé, car il n'y a pas eu de confinement.

3. Il semble peu probable qu'un point chaud se soit formé spontanément à la base du nitrate entreposé dans le hangar

Le SRPJ de Toulouse parle d'un «effet compost». Les enquêteurs affirment que le hangar dans lequel étaient entreposées les 200 à 300 tonnes de nitrate d'ammonium, à l'origine du drame, était «la poubelle de l'usine». Dans ce local «dégradé», à la toiture «fissurée», l'entreprise stockait des «rebuts» de nitrates industriels et agricoles destinés à être retraités dans deux autres usines du groupe Atofina, à Fenouillet (Haute-Garonne) et à Bordeaux. S'appuyant sur des témoignages d'employés, les policiers affirment que toutes sortes d'«impuretés», comme des «morceaux de bois, des plastiques, des poussières, des hydrocarbures» et même de la «terre», étaient mélangées. En plusieurs points, le «sol en béton, datant de 1930», était fissuré, laissant remonter par capillarité l'eau de la nappe phréatique, profonde de seulement quelques mètres à cet endroit.

Selon ce scénario, l'humidité aurait facilité la prise en masse du nitrate d'ammonium et le passage fréquent d'un Schuller, engin de manutention fonctionnant au fioul, qui aurait pu fuir et aurait contribué à tasser le nitrate et à créer des conditions de confinement propices à l'établissement de réactions d'oxydo-réduction. La décomposition du nitrate, en présence d'impuretés jouant le rôle de catalyseur, aurait alors provoqué une élévation de température à la base du tas, jusqu'à entraîner l'explosion fatale. Ce scénario ne s'est encore jamais produit dans les faits. Or, depuis un bon siècle qu'on l'utilise comme engrais, des milliards de mètres cubes de ce produit ont été fabriqués, transportés, stockés, manipulés dans des conditions voisines - et dans de nombreux cas certainement pires - de celles de l'usine de Toulouse, sans que jamais il n'explose.

Ensuite, même si la dégradation du nitrate peut abaisser son point de fusion de quelques dizaines degrés, il faut tout de même que le point chaud à la base du tas soit de l'ordre de 150°C pour que l'explosion se produise. Mais pourquoi les détecteurs de chaleur n'ont-ils rien signalé ? Pourquoi n'y a-t-il pas eu de fumées ? Un tas d'ammonitrate, même pris en masse, du fait de l'humidité, présente toujours des fissures par lesquelles l'énergie se serait dégagée.

4. Les personnels de l'usine contestent la thèse officielle

«On sait comment l'explosion s'est produite, mais on ne sait pas pourquoi elle s'est produite», nuance d'ailleurs une source policière, qui déclarait mercredi attendre les conclusions des experts mandatés dans le cadre de l'enquête judiciaire pour se prononcer de manière définitive. Mais alors, pourquoi le procureur de la république, Guy Bréard, a-t-il choisi de s'exprimer deux jours plus tôt, sans avoir manifestement tous les éléments en main, alors que le cratère laissé par l'explosion a pratiquement anéanti toute preuve matérielle de l'état du bâtiment avant le drame ?

Tous les membres du personnel que Le Figaro a interrogés contestent vigoureusement la description qui est faite du hangar en particulier, et de l'usine en général. Sur la base, rappelons-le, de dépositions d'employés dans le cadre de l'enquête. Comment expliquer de telles contradictions ? La chape de béton qui, selon le procureur, date des années 30, a été refaite après-guerre, l'usine ayant été bombardée. Le local était visité tous les jours, régulièrement vidé et nettoyé : aucun produit n'a stationné là pendant «80 ans». «Il y avait un turn-over, et quand il n'y avait plus rien, vous auriez pu mettre la table dessus», assure Philippe François, responsable du service traction de l'usine, qui ne souvient pas avoir vu des «fissures» ou du «béton dégradé».

En outre, le fameux Schuller était neuf, car AZF venait de changer de loueur il y a de cela quelques mois. L'appareil était régulièrement entretenu : «Ce n'était pas la pétoire suintant l'huile et le fioul décrite dans la thèse officielle», poursuit un employé. Déjà durement affectés par la mort de leurs collègues, tous se disent «scandalisés» d'apprendre, sans preuves formelles, que le drame serait arrivé, en plus, de leur faute. «Nous n'avons jamais accepté de travailler depuis 1924 dans une usine poubelle», déclarait mercredi, dans un communiqué, l'Intersyndicale (CGT, CFDT, CGC, FO) de l'usine. Si les mêmes avaient par le passé rappelé à l'ordre leur direction sur des points touchant à la sécurité, n'accuseraient-ils pas aujourd'hui le groupe TotalFinaElf d'être responsable de la mort de leurs camarades et du désastre qui a frappé toute l'agglomération de Toulouse ?

5. Le site était une vraie «passoire»

«N'importe qui pouvait pénétrer sur le site, témoigne cet ancien employé qui a travaillé plus de vingt ans à AZF Toulouse. Depuis les bords de la Garonne, c'est très facile d'y accéder. D'ailleurs, on se faisait sans arrêt voler des échelles et toutes sortes d'ustensiles...» La situation n'a guère changé aujourd'hui, et les hangars, a priori moins à risque que les tours de réaction, n'étaient pratiquement pas surveillés, surtout la nuit. Pour le moment, l'enquête se focalise sur les normes de sécurité et la thèse de l'accident. La thèse de l'attentat obligerait à une vigilance accrue des forces de l'ordre sur les 1 200 sites industriels classés Seveso 2.

M.M.


 Source : Le Figaro (28/09/2001)    Source : Le Figaro (28/09/2001)

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