Dans le quartier du Mirail, les habitants campent dans les appartements dévastés et font la queue devant les centres de soutien. La colère a pris le pas sur la peur
« Et je fais comment, moi, pour lui donner le biberon à ma petite ? » Appuyée sur ses béquilles, le pied gauche bandé et ballant, Linda ne décolère pas. Et explique à une assistante sociale qu'elle ne peut plus entrer dans son appartement de la cité du Parc, qui compte parmi les immeubles les plus touchés du quartier du Mirail. Blessée par des éclats de verre lors de l'explosion de l'usine AZF, la jeune femme ne peut récupérer ni les vêtements de son bébé ni le moindre sou. « Les CRS nous en empêchent, précise-t-elle, la seule chose qu'ils savent dire c'est : je suis désolé. » Elle est donc venue au centre social de la CAF, sur la grande place du Mirail, espérant y trouver un premier secours. Qui va venir, mais les chèques ne seront pas remis avant quarante-huit heures. D'autant qu'elle n'est pas la seule. Transformé en cellule de soutien il y en a sept au total, réparties dans les quartiers touchés , le centre social est devenu le point de ralliement de tous ceux qui ne savent plus à quel organisme se vouer. Comme Mohammed Fayek, 38 ans, employé d'une entreprise de nettoyage et père de cinq enfants. « Ma femme et moi, on les a pris en charge tout seuls, on leur a parlé, on les a rassurés. Parce que, au début, on n'a vu personne. Et maintenant, il faut des factures, des photos, des preuves des dégâts ! »
BESOIN DE PARLER
A l'intérieur du centre, pourtant, assistantes sociales, psychologues, conseillers juridiques, représentants de l'office HLM et d'EDF, tous reçoivent sans discontinuer. Près de cinquante personnes parent au plus pressé et donnent qui un conseil, qui une adresse, qui un imprimé administratif. Il a fallu distribuer des tickets d'attente et tenter de calmer les plus énervés. Y compris via le recours aux forces de l'ordre. Car la rumeur a vite enflé, répandant le bruit que seuls les premiers arrivés auraient droit aux secours.
Christiane Godard, directrice du centre, organise et planifie. « J'utilise aussi beaucoup de bénévoles, raconte-t-elle. La moitié du personnel est tellement choquée que certaines ne peuvent pas venir travailler et pourtant, en même temps, ils culpabilisent. » Quelques mètres plus loin, Médecins du monde a planté ses tentes depuis dimanche. L'un des médecins, Philippe, établit des fiches pour que chaque bénévole puisse répondre aux questions les plus variées. « On nous demande tout et n'importe quoi. Tout le monde est un peu perdu. » Les volontaires font aussi de la médecine, « de la bobologie, précise-t-il. Nous sommes surtout un point d'écoute ». Une équipe de psys est là pour ça. Beaucoup de mères viennent avec leurs enfants. Un certain nombre d'écoles étant fermées, les bénévoles font garderie et recueillent les confidences des petits, comme celle d'Ayoub qui évoque le souvenir des vitres de sa classe qui « m'ont sauté dessus ». Le besoin de parler est partout palpable. Paule et Christian Faure, un couple de retraités qui habite un peu plus loin une vaste villa de la rue Auguste-Guenot, l'ont constaté. « On s'est mis à adresser la parole spontanément à tous les gens de la rue. » Chez eux, toutes les vitres ont été soufflées, la porte d'entrée défoncée, les volets tordus. « Si nous avions été là, assure Christian, on était laminés par les éclats de verre. » Reste qu'à l'heure de l'explosion, ils faisaient leurs courses au supermarché qui s'est aussi effondré.
Certains intérieurs ne sont pas sans évoquer un champ de ruines. C'est le cas de la maison d'André Cros, rue de Seysses. Le plafond est sur le lit, les fenêtres dans le jardin, le frigo a rendu l'âme et la cuisinière ne fonctionne qu'entre deux hoquets. Florence, elle non plus, ne peut pas habiter son appartement. Et pourtant elle y reste. Ses quatre enfants hébergés ailleurs, son mari, Samuel, à l'hôpital, elle veille sur les quelques biens domestiques accumulés depuis douze ans. « Où voulez-vous que j'aille ?, soupire-t-elle. Ce qu'ils nous proposent ailleurs, c'est cassé aussi. Je dors là avec ma soeur à cause des voleurs. Cette nuit, je les ai entendus entrer dans ma chambre. J'ai crié pour les faire fuir. » Jérémie, lui, est étudiant. Il montre la chambre dévastée où la cloison n'est plus qu'un souvenir. « Maintenant, c'est plus grand, remarque-t-il, c'est devenu un salon. » L'humour demeure encore une arme pour certains qui estiment qu' « il y a plus malheureux qu'eux ». Ils pensent aux morts ou à ce jeune homme de 22 ans qui a perdu la vue dans l'accident.
Un humour qui fait dire à André Cros : « Mon contrat d'assurance prévoit que je dois être relogé. Mais c'est à l'expert de décider. S'il prétend que ma maison est habitable, j'y enferme sa femme pendant un an avec obligation de lui faire un rapport quotidien ! »
H. ROUQUETTE-VALEINS
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