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 Source : La Depeche (23/07/2002)    Source : La Depeche (25/07/2002)
[Articles du 23/07/2002] - [ Periode : 07-2002 (62 articles)] - [ Source : Liberation (36 articles)]

Article paru le 23/07/2002 - Cet article est la propriété du journal ou société : Liberation

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Le retour en terre d'asile après le grand boum d'AZF


Neuf mois après l'explosion de l'usine de Toulouse, les patients réintègrent peu à peu l'hôpital psychiatrique voisin.

ls ne s'attendaient pas à cela. Après des mois d'errance, parfois un sentiment d'abandon, parfois un sentiment de liberté, ils pensaient retrouver l'hôpital qu'ils connaissaient. Le «club» d'avant. Celui du 20 septembre. Celui d'avant l'explosion d'AZF. Avec des gens dans le parc. Avec des ouvriers qui côtoieraient des malades, des allées et venues, des animations. Les patients de l'hôpital psychiatrique Gérard-Marchant ont été déçus. A la fois contents de revenir dans leurs murs après des mois d'exil à des centaines de kilomètres de là, et déboussolés.

Eparpillés. Ces jours-ci, plus aucun malade ne déambule dans les allées et il règne un étrange silence. En face, haute de plusieurs dizaines de mètres, une cheminée siglée AZF et rescapée de l'explosion, semble narguer le domaine. Les murs des pavillons Cerise, Montfort ou Parchappe sont debout, mais les fenêtres condamnées par du contreplaqué. Sur la route, à peine quelques débris de verres. Le 134, route d'Espagne semble désert, tranquille. Trop. Neuf mois après l'explosion d'AZF et de Marchant, 200 patients sur les 350 ont réintégré l'asile, mais les ateliers de dessin, le gymnase, la lingerie, les ateliers de cuisine et la cafétéria de l'hôpital n'ont toujours pas rouvert.

«Le personnel s'est bien débrouillé. Ils sont plus sensibles, plus gentils, plus compréhensifs dans la douleur. On a quelque chose en commun», raconte Gabriel (1), 36 ans, ancien résident occasionnel de l'hôpital Marchant. Tous ceux qui ont réintégré les murs étaient là le jour où les 350 lits de l'hôpital Marchant ont volé en éclats. Tous s'en souviennent. Un résident au pavillon Van Gogh ne veut pas en parler. «J'ai eu peur, pas de quoi en faire un roman.» Un autre s'empresse de remonter les manches de son polo pour montrer ses cicatrices et peut raconter que, ce jour-là, il a fait en plus un arrêt cardiaque. Il n'est pas le seul. Gabriel a cru que c'était la guerre. «J'ai eu la trouille qu'on nous mette dans un champ et qu'on nous abatte tous.» Ensuite, ils ont été éparpillés. «Certains malades n'ont pas parlé de l'explosion pendant des mois, raconte une infirmière. Ils le font maintenant. Depuis qu'ils ont réintégré les murs.» D'autres, au contraire, en rigolaient. «Ils se disaient "tu te souviens quand untel était sous la table, recouvert de verre ?"» rapporte une soignante. Au pavillon Dide, Jean-Paul se souvient du jour où «ça a fait boum!». Il est content de revenir et confie en baissant le ton, «c'était pourri la nourriture, quand on nous a mis à Montauban». Tout au fond, au pavillon Lévy, celui des malades profonds et des autistes, le personnel a assisté parfois à d'étonnantes scènes. Certains patients, après des mois de stress et 7 ou 8 kilos perdus dans l'éloignement, se sont directement dirigés vers leur chambre. Comme si rien n'avait changé. Mais, pour chacun, le retour a été dur.

Alternatives. Deux pavillons ont rouvert le 1er avril, deux autres début mai, et le bâtiment Van Gogh depuis quinze jours seulement sent encore la peinture fraîche. Juste de quoi abriter une partie des cas les plus lourds, les plus chroniques. Les autres atterrissent dans l'ancien hôpital militaire de Larrey, dans un autre quartier de Toulouse. Cent vingt lits sont disponibles depuis deux mois à peine sur trois étages. Là encore, il a fallu du temps avant l'ouverture de ce lieu et entreprendre les travaux d'aménagement : bloquer les anciennes issues de secours, grillager une partie du parc pour que les patients puissent sortir sans risque, fermer toutes les fenêtres. Pas de climatisation. «On se sent enfermé, explique Marie-Dominique Vincent, psychiatre. Cette structure à étages n'est pas adaptée. Mieux vaut être de plain-pied pour pouvoir surveiller les allées et venues des patients.» «Pour ceux qui vivent en HLM, l'hôpital de Larrey où l'on nous a mis c'est une bonne chose, témoigne Gabriel. Mais pour les habitués des espaces verts, c'est très difficile. On a besoin de s'extérioriser, de sortir.»

Gabriel était dans une salle télé de Marchant le jour de l'explosion. Le soir même, il se retrouvait à 120 km, «à Limoux, une ville que je ne connaissais pas, en pleine campagne. Au bout d'un mois, j'ai commencé à rechuter, ils m'ont permis de rentrer chez moi sur Toulouse, on m'a redirigé vers un hôpital de jour et un centre médico-psychologique et puis j'ai demandé à être de nouveau hospitalisé». Sans Marchant, il a fallu trouver des alternatives. Elles ont parfois eu du bon. «Certains patients dont on n'aurait jamais imaginé qu'ils puissent sortir ont été mis dehors. L'un d'eux, par exemple, schizophrène, est retourné dans sa famille et vient une matinée par semaine au centre d'accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP). On n'aurait pas imaginé, pour certains, qu'il y ait une vie autre qu'à l'hôpital», témoignent des infirmières de Marchant.

Vivre à l'extérieur. Des retournements de situation «inattendus, mais pas de miracle», ajoutent-elles. D'autres ont pu tester leur capacité à vivre à l'extérieur. «Marchant détruit, on espérait pouvoir faire évoluer le système, regrette Catherine Faruch, chef de service à Marchant, mais là, j'ai l'impression que l'on nous fait retourner au point de départ. On a vu que l'on pouvait travailler autrement. L'hôpital a cette fonction de mettre à l'abri certains individus, mais, pour d'autres, c'est le moment d'imaginer de nouvelles structures.» De penser à les intégrer davantage dans la cité, de les sortir de ces murs. Quelques malades ont disparu, évanouis temporairement dans la nature. Jusqu'à ce que leur angoisse les rattrape. Ils ont alors refait surface aux urgences du centre hospitalier Purpan. En pleine crise. D'abord mélangés aux patients des urgences médicales et chirurgicales. Ensuite admis aux urgences psychiatriques (Siap) qui n'avaient que cinq lits au lieu des dix de l'hôpital Marchant.

«Ça, c'est un peu calmé», raconte Marie Ecoiffier, médecin aux urgences. «On sort d'une période très difficile», reconnaît Laurent Lignac, du Siap. «L'autre jour, une patiente a dû attendre quatre ou cinq heures sur sa valise dans le couloir et on a dû mettre ces malades dans la salle d'attente.» Les malades psychiatriques «errent dans les couloirs». Finissant par exaspérer le personnel des services classiques. «On a vite recours à la sédation, car le flux de patients somatiques n'a pas diminué, continue Marie Ecoiffier. Et dans les discussions, ils sont la dernière roue du carrosse.» Au Siap, «on n'a pas arrêté de faire des choses qu'on n'avait pas envie de faire». Comme envoyer des patients à des centaines de kilomètres, voire à l'autre bout de la France, faute de lits dans l'agglomération. Ou bien «fixer des patients agités aux lits» pour ne pas qu'ils se blessent. «On a fait de la psychiatrie de brousse.»

«Capital de lits». Ce jour-là, deux patientes vont devoir être hospitalisées à Pau et à Limoux. Plus de place sur Toulouse, car, malgré la réhabilitation de quelques pavillons à Marchant et l'ouverture de trois services à Larrey, «nous n'avons pas récupéré le capital de lits», continue Marie Ecoiffier. Et la «vieille rivalité» qui persiste entre les équipes soignantes de l'ex-hôpital Marchant et celles du CHU n'arrange rien. «On laisse sortir des gens que l'on n'aurait jamais laissé sortir avant», s'accordent-ils tous à dire. «Avant, on ne se posait pas de questions, on hospitalisait quarante-huit heures dès que quelqu'un ne se sentait pas bien», explique Laurent Lignac. «Le problème, remarque une autre psychiatre, c'est que, d'une certaine façon, rien n'a vraiment changé. Il y a toujours cette impression qu'un malade psychiatrique ce n'est pas un vrai malade, et moi ça me fait mal.»

Julie LASTERADE


 Source : La Depeche (23/07/2002)    Source : La Depeche (25/07/2002)

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