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 Source : La Depeche (11/03/2002)    Source : La Depeche (15/03/2002)
[Articles du 13/03/2002] - [ Periode : 03-2002 (58 articles)] - [ Source : Tout Toulouse (78 articles)]

Article paru le 13/03/2002 - Cet article est la propriété du journal ou société : Tout Toulouse

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Panique aux urgences psychiatriques


Photo © Tout Toulouse Depuis la destruction de l'hôpital Marchant par l'explosion d'AZF, rien ne va plus dans la psychiatrie publique à Toulouse. Locaux inadaptés, médecins épuisés, patients que l'on ne peut plus prendre en charge : c'est la crise

Cette semaine, un malade a réussi à arracher le robinet d'un lavabo, l'a tordu en deux pour s'en servir comme d'une arme contre nous. C'était un type de 120 kilos, que voulez-vous faire ? Nous l'avons laissé sortir, et nous avons appelé les forces de l'ordre pour qu'elles l'interceptent à la sortie. A Marchant, nous aurions eu tout de suite dix infirmiers, nous aurions pu le calmer et lui proposer une chambre d'isolement. " Cette scène, que Catherine Mercier, assistante aux urgences psychiatriques du SIAP, le Service intersectoriel d'accueil psychiatrique, anciennement installé à l'hôpital Marchant, aujourd'hui hébergé au pavillon Putois de Purpan, raconte d'une voix fatiguée, presque avec fatalisme, est révélatrice de l'ambiance qui règne dans les locaux, vétustes et inadaptés pour des malades violents.

" Nous avons déjà eu deux tentatives de pendaison aux néons et un gars qui a voulu se jeter par la fenêtre. Plusieurs malades ont aussi fugué en passant par les fenêtres. " Assis dans l'ancienne cuisine qui sert aujourd'hui de local des soignants, autour d'un café, les psys sont au bord de l'épuisement. " On n'en peut plus, explique le docteur Lignac. Après AZF, nous pensions être ici pour quinze jours, trois semaines au maximum, nous y sommes depuis cinq mois et nous travaillons dans des conditons déplorables. Pour nous, ce n'est pas grave, mais pour les malades, c'est consternant. " De huit lits d'urgence à Marchant, le SIAP est passé à quatre places. Et le mot de chambre n'est pas adapté pour décrire les lits à roulettes, à peine cachés derrière des rideaux à fleurs, façon rideaux de douche. A peine a-t-on passé la porte du service, que l'on se retrouve dans une minuscule salle d'attente meublée de trois chaises en plastique, face à ces chambres de fortune, à l'image de celles que l'on pourrait trouver dans un hôpital du tiers-monde ou d'un ancien pays de l'Est. Deux autres box bénéficient de portes coulissantes : ils font office de chambres d'isolement. Dans l'un d'eux : un malade qui souffre de crises d'angoisse. L'environnement ne doit pas le rassurer.

Les anciens locaux de l'AUC (Accueil d'urgences chirurgicales), désaffectés depuis longtemps, n'ont même pas bénéficié d'un coup de peinture avant de recevoir les urgences psychiatriques. A peine a-t-on débranché les tuyaux d'arrivée d'oxygène pour ne pas prendre de risque avec les malades qui fument. Les fenêtres se sont pas toutes condamnées. Pour la confidentialité, mieux vaut ne pas être trop exigeant. Le bureau de consultation, une sorte de cuisine, est particulièrement sonore, et le tableau d'affichage des malades à la vue de tous. Sans compter le bruit incessant des travaux à l'étage du dessus. Il y a une benne devant la fenêtre : " Nous avons eu une malade traumatisée par AZF. La pauvre femme faisait des bonds dans son lit à chaque fois que les gravats tombaient dedans", raconte un médecin. Le personnel n'est pas mieux loti que les malades. Ce matin-là ils sont une dizaine à se presser dans la salle " de soins " surpeuplée. Quant aux archives, il a été impossible de les déménager : on ne peut pas retrouver la trace d'un malade hospitalisé il y a deux ans. Le mobilier est à l'image des locaux : vétuste, en bout de course, comme ce fauteuil au bras réparé de sparadrap. Le long des portes, des griffures, des éraflures témoignent de l'usure du temps et parfois aussi de la violence des nouveaux patients. Une porte de sortie ne ferme plus vraiment, les gonds ont été arrachés par un malade énervé.

Côté repas, on n'est pas non plus dans un trois étoiles. L'intendance ne suit pas, seul un vieux frigo héberge les plateaux des malades. S'ils ont droit à un repas chaud le midi, le soir, c'est pique-nique. " Quand ils ne passent que douze heures ici, c'est acceptable, dit une infirmière, mais nous en avons qui sont restés cinq jours en attente, là, c'est insupportable. " Car le gros problème du SIAP, c'est de ne plus avoir de structure en aval pour caser les malades, une fois le diagnostic posé. Depuis l'explosion, les 300 lits de Marchant n'ont pas été remplacés. " Nous sommes toujours pleins, explique le docteur Laurent Lignac. Dès que nous avons une place libre, nous appelons les urgences générales qui nous envoient immédiatement un autre malade. Nous devons être le seul service psychiatrique de France où il y a une liste d'attente." " Chaque jour, nous appelons vingt hôpitaux et onze cliniques, explique Catherine Mercier, et nous avons de plus en plus de mal à trouver des places. Nous passons notre temps au téléphone au lieu d'être avec les malades. " Amère, elle ajoute : " La semaine dernière, une femme a dû s'allonger par terre faute de place. " Depuis, les médecins du SIAP ont décidé de plus voir de malades en consultation, de peur de devoir les garder. Depuis qu'il est à Purpan, le SIAP a reçu 1 400 personnes, en a hospitalisé 800, 200 dans le secteur privé toulousain et les 600 autres dans des CHS de la région. " Pour des malades psychotiques, c'est une très mauvaise chose , ils perdent leurs repères. Nous avons un patient qui a été hospitalisé dix fois depuis septembre. " " Les équipes sont épuisées, explique le docteur Lignac. Depuis trois semaines, cela devient de plus en plus dur. Le plus difficile, c'est de ne pas avoir de date butoir, les projets s'effondrent les uns après les autres, rien n'avance. On vient de nous proposer vingt lits à Casselardit mais les locaux ne sont pas plus fonctionnels qu'ici. "

A Casselardit, le service psychiatrique " ordinaire " de Purpan, on ressent aussi le contrecoup de la disparition de Marchant. Les internes qui n'étaient appelés qu'occasionellement aux urgences générales pour prendre en charge des malades psychiatriques, y sont désormais presque en permanence. Eux aussi sont à bout de souffle. " Nous avons des gardes de 24 heures, raconte une jeune femme. Il n'est pas rare d'y voir quinze à vingt personnes. C'est un travail momumental. On est angoissé deux ou trois jours avant. Et, pendant la garde, on est débordé, plus assez serein pour prendre correctement en charge les malades. " Les urgences autrefois admises à Marchant sont aujourd'hui mélangées aux urgences médicales à Purpan ou à Rangueil. Difficile de faire face quand une urgence psychiatrique arrive entre un infarctus et un accident de la route. Le personnel n'est pas formé pour accueillir ce type de patient et les locaux ne sont pas sécurisés. Résultat : un malade est récemment sorti de sa chambre avec un couteau à la main, un autre a dû être maitrisé pas sa famille. " Et allez donc attacher un patient quand il a un lit à roulettes souligne ironique un médecin. Avec les patients suicidaires, on a toujours peur du passage à l'acte. " Tous ont le sentiment que le problème s'est aggravé depuis quelques mois, sans doute parce que des malades hospitalisés dans la région sont sortis et reviennent sur Toulouse. Sans que l'on ait toujours une solution à leur proposer. " D'autres refusent une hospitalisation lointaine et se retrouvent de fait hospitalisés sous contrainte, donc peu enclins à coopérer. " A Casselardit, les internes ont le sentiment de ne plus pouvoir faire leur travail. Et l'ouverture prévue en mai prochain de l'hôpital Larrey, censé remplacer Marchant mais ne proposant qu'une centaine de places, ne leur remonter pas le moral. "Les lits disponibles ne seront pas suffisants, disent-ils, ajoutant : On est tellement épuisés qu'on n'a même plus la force de se plaindre. "

Joëlle Porcher


 Source : La Depeche (11/03/2002)    Source : La Depeche (15/03/2002)

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