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 Source : La Depeche (09/02/2002)    Source : Tout Toulouse (11/02/2002)
[Articles du 11/02/2002] - [ Periode : 02-2002 (45 articles)] - [ Source : Liberation (36 articles)]

Article paru le 11/02/2002 - Cet article est la propriété du journal ou société : Liberation

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Responsabilité sociale, une révolution?


La «responsa-bilité sociale» n'est pas seulement une affaire interne à l'entreprise. Elle concerne aussi les rapports avec les partenaires de l'entreprise et avec la main-d'oeuvre périphérique qui souffre le plus des conditions de travail.

Socialement responsables... le sujet est à l'ordre du jour. Lundi 11 février, quatre syndicats français (CGT, CFDT, CFDT, CGC) annonceront la mise en place d'un label pour encourager les fonds d'épargne salariale à investir dans du «socialement correct». La Belgique va estampiller ses produits d'un label signalant aux consommateurs ceux qui ont été fabriqués dans le respect des normes sociales internationales. La Commission européenne elle-même parle d'élaborer un «cadre européen de la responsabilité sociale des entreprises», et ce pour en faire un atout de la «construction du modèle social européen». Claude-Emmanuel Triomphe, délégué général de l'Université européenne du travail, revient sur la montée du concept de «responsabilité sociale» en France et en Europe, qui pourrait être, selon lui, une opportunité de transformer radicalement les comportements et les structures.

Labelliser les fonds d'épargne pour encourager les investissements socialement corrects, c'est ce que s'apprêtent à faire les syndicats français. Est-ce de leur ressort ?

En quelque sorte, non, mais ils n'ont pas vraiment le choix. La loi sur l'épargne salariale a été adoptée. S'ils veulent avoir leur mot à dire sur le placement et la gestion de cette épargne, il faut bien qu'ils s'engagent... Cela signifie que les syndicats vont être désormais en mesure d'exercer indirectement un rôle d'investisseur. L'expérience des fonds de retraite gérés directement par les syndicats, comme cela se passe au Canada avec le Fonds de solidarité des travailleurs du Québec, n'est peut-être pas directement transposable. Mais la mise en place d'un fonds paritaire dans la métallurgie allemande, la création récente de plusieurs fonds de pension d'entreprise en Irlande, la constitution de fédérations d'actionnaires salariés dans plusieurs pays comme les perspectives qu'ouvre la gestion de l'épargne salariale en France font partie des réalités nouvelles. Quelle sera la ligne de conduite des syndicats dans ce domaine ? Ce qui est sûr, c'est que cela va les amener à aborder des questions qu'ils avaient renoncé à aborder. Jusque-là les syndicats français restaient arc-boutés sur la défense de l'emploi et des salariés. L'investissement, la stratégie globale de l'entreprise, ça n'était pas de leur ressort. Aujourd'hui, si. Et d'autant plus que les entreprises sont de plus en plus interpellées sur les questions de responsabilité sociale.

Ce concept de responsabilité sociale des entreprises est en train de brouiller, dites-vous, le jeu des acteurs sociaux ?

Modestement encore. Le nombre d'entreprises qui s'affirment socialement responsables reste peu élevé. Ce mouvement n'est partagé que par une minorité et cette minorité est plus préoccupée par le souci de se construire une image socialement ou environnementalement correcte que de changer fondamentalement ses pratiques sociales. Celles qui vont plus loin le font sous la pression des ONG, de certains syndicats, des associations et de l'opinion publique en développant des codes de bonne conduite, charte, labels sociaux, etc. On présente cette démarche comme volontaire, mais elle est loin d'être spontanée. Rappelons que le concept arrive des Etats-Unis où, compte tenu de la faiblesse des conventions collectives, il n'est pas difficile pour les entreprises de faire du mieux-disant social. En Europe, les lois sociales sont à un niveau incomparablement plus élevées. La responsabilité sociale doit aller plus loin que ce que prévoient la loi ou les conventions collectives. Mais que recouvre-t-elle précisément ? Pour l'instant, on est dans le flou. Est-elle constituée par la démarche «fournisseurs» lancée par Carrefour pour recourir à des fournisseurs qui ne font pas travailler des enfants ? Les entreprises doivent-elles s'engager volontairement à garantir des emplois stables et de qualité ? L'instrument permet-il d'améliorer le traitement de l'emploi lors des restructurations et réorganisations ? Favorise-t-il une prise en compte des conditions de travail dans les relations avec la sous-traitance ? On le voit bien, la responsabilité sociale de l'entreprise n'est pas seulement une affaire interne à l'entreprise. Elle concerne aussi les rapports avec les partenaires de l'entreprise et avec la main-d'oeuvre périphérique qui souffre le plus des conditions de travail. Elle renvoie donc tout aussi bien aux territoires de l'entreprise, aux relations avec la sous-traitance et les fournisseurs, et bien d'autres encore. Toutes ces questions brouillent le jeu traditionnel des acteurs sociaux.

Quelle répercussion cela aura-t-il sur le rôle des syndicats ?

D'ores et déjà, les processus de dialogue social ont été affectés par l'émergence des ONG, la pression de l'opinion, dans la chasse gardée des syndicats : le social, et en particulier le social dans l'entreprise. L'exemple d'AZF le montre bien. Les syndicats d'AZF ne peuvent plus se contenter de vouloir défendre l'emploi face à une opinion publique qui exige, elle, la fermeture du site. Le fait que les syndicats soient aujourd'hui amenés à interpeller l'entreprise sur les questions de responsabilité sociale les obligent aussi à revoir leurs comportements traditionnels. Comment aborder un plan social ? Jusqu'à présent, au nom de la défense de l'emploi salarié, les syndicats hésitaient rarement à faire payer la facture sociale aux sous-traitants, aux intérimaires et autres CDD. Même chose en matière de délocalisation. Se prononcer contre n'est plus suffisant. Les syndicats thaïlandais sont-ils des ennemis, des concurrents ou bien des frères qu'il faut aider ?

Reste à savoir si les entreprises et les syndicats veulent mettre ces sujets sur la table.

Il n'est pas sûr que la pression soit encore suffisante. L'inconfort des anciennes pratiques reste sans doute plus confortable que l'aventure des nouvelles. Intellectuellement, ils savent que c'est le chemin à suivre, mais cela met en péril les pratiques manageriales et syndicales traditionnelles. Et y compris les structures, confédérations, fédérations, sections, etc. Ou les outils de gestion. Pourtant la crédibilité des unes et la légitimité des autres sont en jeu : le rejet de l'entreprise par une partie de la société. Quant à la marginalisation des syndicats, elle vient aussi de leur difficulté à se saisir de ces questions qui mobilisent l'opinion.

Ce serait donc une opportunité de transformer le dialogue social et l'entreprise tout entière ?

Effectivement, la question de la responsabilité sociale des entreprises fait éclater les frontières de celles-ci. De nouveaux pouvoirs se cherchent à tous les niveaux. De nouvelles questions se posent. Peut-on être une entreprise socialement responsable avec un actionnariat socialement irresponsable ? Peut-on continuer de raisonner à l'intérieur de cadres professionnels, secteur, branche d'activité, qui ne sont plus adaptés ? Ou ignorer un environnement qui n'admet plus d'être cantonné à un tiers passif et se montre exigeant dans des tas de domaines (environnement, clientèle, sous-traitance, emploi, etc.) ? L'identité de l'entreprise s'en trouve d'ores et déjà bouleversée, mais nous ne savons pas encore le dire et ne savons pas encore les conséquences que cela aura. Il y a quelques pistes de réflexion. Par exemple l'idée d'ouvrir le comité d'entreprise aux représentants de la société civile, aux sous-traitants. Les partenaires sociaux ont tout à y gagner. On ne fera pas l'économie d'une régulation publique, locale, nationale et internationale, sur cette question. A partir de quel levier et quel lieu, c'est aussi aux politiques de s'en saisir.

Par Nadya CHARVET


 Source : La Depeche (09/02/2002)    Source : Tout Toulouse (11/02/2002)

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