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 Source : La Depeche (02/01/2002)    Source : La Depeche (04/01/2002)
[Articles du 03/01/2002] - [ Periode : 01-2002 (68 articles)] - [ Source : L Express (13 articles)]

Article paru le 03/01/2002 - Cet article est la propriété du journal ou société : L Express

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Annus horribilis


A peine remise des tempêtes de 1999, la profession a dû encaisser en 2001 les chocs des attentats du 11 septembre et l'explosion de Toulouse. Un manque à gagner qui pourrait coûter fort cher... aux assurés

Si la reine d'Angleterre devait aider les assureurs de la planète à qualifier l'année qui vient de s'achever, elle emploierait à coup sûr son expression consacrée: annus horribilis. Car jamais les compagnies n'avaient vécu pareille catastrophe. Réunis par hasard le 11 septembre pour leur grand-messe annuelle à Monaco, plusieurs milliers de professionnels broyaient déjà du noir. «On se remettait à peine des tempêtes de décembre 1999, qui ont coûté 6 milliards de dollars [6,8 milliards d'euros] aux assureurs, se souvient Jean-Philippe Thierry, PDG des AGF (groupe Allianz), qui présidait ce colloque. Nous subissions la récession des grands pays occidentaux et la chute des Bourses de 20% à 30%, qui affectent durement les revenus de nos placements.» Soudain, un orateur a interrompu la séance pour annoncer que deux avions s'étaient encastrés dans les tours du World Trade Center (WTC). «Chacun a alors compris que le pire cauchemar des assureurs était arrivé», rapporte un participant.

«Si une nouvelle catastrophe survenait rapidement, le secteur pourrait connaître une grave crise»

Un cauchemar aux conséquences financières majeures. Estimée initialement à 20 milliards de dollars, la facture, encore provisoire, du plus gros sinistre de l'histoire de l'assurance a vite été réévaluée par les experts à 40, 50, voire 80 milliards de dollars, pulvérisant le précédent record mondial, atteint par l'ouragan Andrews, en 1992, qui avait coûté 20 milliards aux assureurs. Les dommages du 11 septembre pourraient absorber à eux seuls la moitié des primes annuelles collectées dans le monde entier! De quoi ébranler tout le secteur, d'autant que l'ensemble de ses activités a été touché en même temps. Dans une étude minutieuse, la banque Morgan Stanley énumère tous les postes affectés: 4 milliards de dollars pour les quatre avions détruits, entre 8 et 12 milliards pour les deux tours effondrées et la quarantaine d'immeubles touchés, 4 milliards pour indemniser les familles de 3 300 victimes, au moins 10 milliards pour les pertes d'exploitation des milliers d'entreprises perturbées... Sans compter au moins 25 milliards pour les blessures, les traumatismes psychologiques, les arrêts de travail, les manifestations new-yorkaises annulées ou les autres biens disparus, comme cette centaine de sculptures de Rodin, entreposées dans un appartement du WTC, évaluées à 100 millions de dollars... «Il va falloir dix ans pour amortir ce choc et régler tous les contentieux juridiques», se lamente un expert. Déjà, le propriétaire des tours jumelles, Larry Silverstein, se bagarre avec ses assureurs devant les tribunaux afin que soit reconnue l'existence de deux sinistres sur le WTC, et non pas d'un seul. Ce qui doublerait le plafond des remboursements prévus, de 3,5 à 7 milliards de dollars!

Qui va payer la note? Les assureurs commencent seulement à faire leurs comptes: l'allemand Allianz a reconnu 1,3 milliard de dollars de pertes, le suisse ZFS 730 millions, le français Axa 600 millions... Leurs prévisions de résultats pour 2001 sont révisées à la baisse, entraînant méfiance des milieux financiers, plans de restructuration et hausses brutales des primes. Mais les plus touchés sont les réassureurs, ces discrètes sociétés vers lesquelles toutes les compagnies se retournent pour partager leurs risques: l'américain Berkshire Hathaway, présidé par le richissime Warren Buffett, devrait enregistrer au moins 2,2 milliards de pertes, l'allemand Munich Re 1,9 milliard, le groupe zurichois Swiss Re 1,6 milliard. Ces mammouths de la réassurance, qui valent des centaines de milliards en Bourse, ont les reins solides. «Cela va affecter nos résultats 2001, mais nous prévoyons un rebond de la demande et de nos bénéfices en 2002», explique-t-on sérieusement chez Munich Re. «Nous sommes relativement confiants sur la solidité financière globale de l'assurance», confirme Yann Lepallec, analyste chez Standard & Poors.

Néanmoins, depuis septembre, les agences de notation financière ont mis sous surveillance la plupart des opérateurs. Car les effets du 11 septembre ne sont pas encore tous visibles: seulement la moitié des 50 à 80 milliards de dollars de pertes ont, à ce jour, été officiellement annoncés par les compagnies. Des défaillances, comme la faillite récente du japonais Taisei, ne sont pas exclues. «Les pertes des réassureurs peuvent créer un effet domino», estime-t-on chez Morgan Stanley. Beaucoup d'experts s'inquiètent notamment du niveau d'exposition du Llyod's. La Bourse londonienne spécialisée, qui sert de source complémentaire de financement aux réassureurs, a déjà révisé de 1,7 à 2,7 milliards de dollars l'impact des attentats sur ses comptes. «Comme c'est une véritable boîte noire, tout peut arriver», murmure un initié. Et la série des sinistres ne s'est pas arrêtée le 11 septembre: explosion de l'usine chimique d'AZF à Toulouse, nouvelle catastrophe aérienne à New York, faillite du groupe américain Enron. Entre 3 et 5 milliards de dégâts supplémentaires. Résultat: «Si une nouvelle catastrophe survenait rapidement, le secteur pourrait connaître une grave crise», pronostique un connaisseur.

Or, malheureusement, depuis le 11 septembre, le catastrophisme est devenu une science obligatoire chez les assureurs! «Nous sommes bien obligés de tenir compte de l'hypothèse que de tels actes d'hyperterrorisme peuvent recommencer», analyse Jean-Philippe Thierry. Attaques bactériologiques, raids sur des sites chimiques ou nucléaires: les experts étudient en secret tous les scénarios.

Air France a vu sa facture d'assurance-attentats bondir de 1 à 81 millions de dollars

Habitués aux calculs de fréquence sur les risques connus (tempêtes, inondations, incendies, etc.), les assureurs sont pourtant démunis face à ce terrorisme guerrier et à ces menaces indéfinies. Impossible d'estimer la probabilité ou le coût possible de tels événements. Difficile de fixer le niveau des primes nécessaires pour les couvrir. Prudent, le français Axa a ainsi annoncé, en octobre, qu'il renonçait à assurer comme prévu la Coupe du monde de football 2002! «Les compagnies vont être plus sélectives, quitte à exclure certains risques ou grands événements», estime Michel Lappara, consultant chez l'actuaire Dillinghast-Towers Perrin. Du coup, les assureurs se sont tournés vers les Etats, ultime recours pour payer les dégâts en cas de futurs attentats. L'administration américaine a accepté le principe d'une garantie partagée, avec des seuils allant de 1 à 20 milliards de dollars et des indemnisations strictement plafonnées. Après de nombreux marchandages, le ministère français de l'Economie a dû, lui aussi, promettre, le 10 décembre, d'assumer les dommages liés au terrorisme, au-delà de 10 milliards de francs. Le gouvernement était au pied du mur: faute d'une solution, des milliers d'usines et de tours de bureaux de l'Hexagone risquaient de n'être plus assurées le 1er janvier 2002, les compagnies ayant dénoncé, fin septembre, la plupart des contrats dommages des grandes entreprises! «Les assureurs ont profité des attentats américains et de l'explosion de Toulouse pour imposer leur diktat!» tonne Philippe Detrez, président de l'Association pour le management des risques et assurances de l'entreprise, représentant 200 grands groupes.

Cet accord de Bercy, arraché dans l'urgence, a rouvert les négociations des assureurs avec leurs clients sur les tarifs applicables à partir du 1er janvier 2002. Avec des séances marathons jusqu'au réveillon. Et de sacrées surprises à la clef: franchises rehaussées, garanties rabotées, plafonds de couverture diminués. Les tarifs moyens se sont envolés de 20 à 40%. Air France a vu sa facture d'assurance-attentats bondir de 1 à 81 millions de dollars! «Le total mondial des primes des compagnies aériennes permettaient tout juste de payer un crash. Il fallait bien revenir au juste prix», rétorque Thibault de Malmann, de la Réunion aérienne, un groupement d'assureurs spécialisés. Piégées par les délais, la plupart des entreprises ont dû passer sous ces fourches Caudines. Et les particuliers ne perdent rien pour attendre: les augmentations des primes devraient avoisiner 5% courant 2002. Au minimum!

par Vincent Nouzille


 Source : La Depeche (02/01/2002)    Source : La Depeche (04/01/2002)

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