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 Source : La Depeche (10/12/2001)    Source : La Depeche (11/12/2001)
[Articles du 10/12/2001] - [ Periode : 12-2001 (141 articles)] - [ Source : Liberation (36 articles)]

Article paru le 10/12/2001 - Cet article est la propriété du journal ou société : Liberation

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Risques industriels: consulter les salariés


L'explosion d'AZF à Toulouse montre que l'approche seulement managériale est dangereuse pour la sécurité.

Le gouvernement a lancé un débat national sur les risques technologiques, débat qui ne devra «occulter aucune des questions relatives au risque industriel». J'y étais personnellement favorable, conscient qu'au-delà d'un discours de circonstance, il faut agir pour donner un contenu offensif et sans ambiguïté au slogan «plus jamais ça!»... ni ici, ni ailleurs... L'explosion de l'usine AZF de Toulouse est une des plus graves catastrophes industrielles survenues en France. Les préjudices sont immenses et affectent des dizaines de milliers de personnes. Le tribut le plus cruel a été payé par des salariés de l'usine et leurs familles: la sécurité des salariés et des installations industrielles est une condition première de la sécurité des populations et de la protection de l'environnement; il est stérile d'opposer l'intérêt des uns et des autres.

La défense de l'emploi doit s'articuler avec des exigences sur la finalité du travail et les conditions de son exercice. La sécurité pour les femmes et les hommes au travail est à la base de l'engagement syndical. Cela étant réaffirmé, le problème général de la cohabitation entre zones urbanisées et activités à risques ne peut être abordé sous l'angle simpliste de la fermeture ou de la délocalisation des activités, «solution» impraticable et totalement illusoire. L'habitat s'est toujours structuré à partir des bassins d'emploi, il ne peut cependant le faire de manière anarchique. Des commissions locales d'information, associant élus et populations, doivent être généralisées. Certains estiment souhaitable de réduire la taille des installations et de les disperser. On voit la difficulté de l'exercice: pour localiser des milliers d'usines, pour éviter les pertes d'efficacité, pour surveiller des activités dispersées. De plus, il se traduirait par un accroissement des activités de transport et d'entreposage, secteurs où règne déjà une concurrence fondée sur l'abaissement des coûts, des effectifs, source supplémentaire de risques. Le résultat risque d'être d'autant moins probant que le rassemblement raisonnable d'activités complémentaires sur une même zone permet de renforcer la culture de sécurité. Cela exige que l'aménagement de la zone d'activité en question soit conçu pour éviter l'effet domino: distances suffisantes entre unités et entre stockages, limitation des quantités stockées en un même endroit, murs et cuvettes de rétention efficaces, système d'accès et de circulation, protections incendie, protections contre les ondes de choc en cas d'explosion, etc. Toutes choses relativement bien connues mais trop souvent appliquées de manière excessivement laxiste ou à l'économie.

La norme ou la prescription théorique couvrent rarement toutes les situations rencontrées et n'intègrent pas forcément l'expérience. Si aucune approche ne peut être crédible en l'absence d'expertise «scientifique», rien ne marche sans la capacité d'initiative, le savoir individuel et collectif des opérateurs salariés. Il est clair que cumuler effectifs insuffisants, salariés précarisés, formation médiocre et pression au rendement débouche immanquablement sur des arbitrages dangereux entre le prescrit et le réel. Risque zéro non, mais oui à la tolérance zéro vis-à-vis de toute défaillance, même minime. Elle exige des matériels et matériaux intégrant la sécurité dès l'origine, une maintenance exigeante, une disponibilité et une maîtrise du fonctionnement par les salariés.

Les organismes publics dépendent trop souvent de l'expertise exclusive des directions d'entreprises, devenues prescripteurs de fait de la norme publique, voire juges et parties dans des différends portant sur la sécurité et les accidents du travail. Ils doivent se donner des moyens en propre de définir une politique de prévention, de contrôler et de garantir son application, de sanctionner les infractions. Il faut en urgence un plan de recrutement et de formation qui permette de doubler rapidement les effectifs actuels des directions régionales pour l'industrie, la recherche et l'environnement (Drire). Comme en d'autres domaines, de trop nombreux responsables publics n'écoutent pas ce que les salariés ont à dire, d'où l'acceptation totale des organisations mises en place par les directions, quand bien même elles sont à l'évidence dangereuses. Un directeur d'entreprise qui dit «je ne savais pas» oublie qu'il est responsable de l'évaluation des risques et des mesures de prévention dans l'entreprise qu'il dirige. A défaut de connaître personnellement les problèmes, il doit s'entourer de compétences. L'approche exclusivement managériale est dangereuse pour la sécurité.

La responsabilité du donneur d'ordre doit être automatiquement engagée en cas de sinistre ou d'accident lié à l'utilisation de sous-traitants. L'utilisation de la sous-traitance doit être assujettie à un système sûr d'agrément public des entreprises et d'habilitation professionnelle des salariés, et assortie de procédures et modalités d'organisation du travail. Il faut accroître sensiblement le nombre de représentants des salariés dans le cas des activités classées soumises à autorisation et surtout des sites Seveso, mettre en place des Comités d'hygiène et sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de site. Il faut faciliter et étendre le droit d'alerte particulier aux membres du CHSCT, créer à leur bénéfice un droit de visite permanent des installations, avec possibilité de consulter et d'interroger sans entrave le personnel. Toute tentative de licencier un élu CHSCT qui a joué son rôle dans la prévention de risques, toute sanction professionnelle à son encontre doit être considérée comme automatiquement illégale, de nul effet et sanctionnée comme telle.

e gouvernement a lancé un débat national sur les risques technologiques, débat qui ne devra «occulter aucune des questions relatives au risque industriel». J'y étais personnellement favorable, conscient qu'au-delà d'un discours de circonstance, il faut agir pour donner un contenu offensif et sans ambiguïté au slogan «plus jamais ça!»... ni ici, ni ailleurs... L'explosion de l'usine AZF de Toulouse est une des plus graves catastrophes industrielles survenues en France. Les préjudices sont immenses et affectent des dizaines de milliers de personnes. Le tribut le plus cruel a été payé par des salariés de l'usine et leurs familles: la sécurité des salariés et des installations industrielles est une condition première de la sécurité des populations et de la protection de l'environnement; il est stérile d'opposer l'intérêt des uns et des autres. La défense de l'emploi doit s'articuler avec des exigences sur la finalité du travail et les conditions de son exercice. La sécurité pour les femmes et les hommes au travail est à la base de l'engagement syndical. Cela étant réaffirmé, le problème général de la cohabitation entre zones urbanisées et activités à risques ne peut être abordé sous l'angle simpliste de la fermeture ou de la délocalisation des activités, «solution» impraticable et totalement illusoire. L'habitat s'est toujours structuré à partir des bassins d'emploi, il ne peut cependant le faire de manière anarchique. Des commissions locales d'information, associant élus et populations, doivent être généralisées. Certains estiment souhaitable de réduire la taille des installations et de les disperser. On voit la difficulté de l'exercice: pour localiser des milliers d'usines, pour éviter les pertes d'efficacité, pour surveiller des activités dispersées. De plus, il se traduirait par un accroissement des activités de transport et d'entreposage, secteurs où règne déjà une concurrence fondée sur l'abaissement des coûts, des effectifs, source supplémentaire de risques. Le résultat risque d'être d'autant moins probant que le rassemblement raisonnable d'activités complémentaires sur une même zone permet de renforcer la culture de sécurité. Cela exige que l'aménagement de la zone d'activité en question soit conçu pour éviter l'effet domino: distances suffisantes entre unités et entre stockages, limitation des quantités stockées en un même endroit, murs et cuvettes de rétention efficaces, système d'accès et de circulation, protections incendie, protections contre les ondes de choc en cas d'explosion, etc. Toutes choses relativement bien connues mais trop souvent appliquées de manière excessivement laxiste ou à l'économie. La norme ou la prescription théorique couvrent rarement toutes les situations rencontrées et n'intègrent pas forcément l'expérience. Si aucune approche ne peut être crédible en l'absence d'expertise «scientifique», rien ne marche sans la capacité d'initiative, le savoir individuel et collectif des opérateurs salariés. Il est clair que cumuler effectifs insuffisants, salariés précarisés, formation médiocre et pression au rendement débouche immanquablement sur des arbitrages dangereux entre le prescrit et le réel. Risque zéro non, mais oui à la tolérance zéro vis-à-vis de toute défaillance, même minime. Elle exige des matériels et matériaux intégrant la sécurité dès l'origine, une maintenance exigeante, une disponibilité et une maîtrise du fonctionnement par les salariés. Les organismes publics dépendent trop souvent de l'expertise exclusive des directions d'entreprises, devenues prescripteurs de fait de la norme publique, voire juges et parties dans des différends portant sur la sécurité et les accidents du travail. Ils doivent se donner des moyens en propre de définir une politique de prévention, de contrôler et de garantir son application, de sanctionner les infractions. Il faut en urgence un plan de recrutement et de formation qui permette de doubler rapidement les effectifs actuels des directions régionales pour l'industrie, la recherche et l'environnement (Drire). Comme en d'autres domaines, de trop nombreux responsables publics n'écoutent pas ce que les salariés ont à dire, d'où l'acceptation totale des organisations mises en place par les directions, quand bien même elles sont à l'évidence dangereuses. Un directeur d'entreprise qui dit «je ne savais pas» oublie qu'il est responsable de l'évaluation des risques et des mesures de prévention dans l'entreprise qu'il dirige. A défaut de connaître personnellement les problèmes, il doit s'entourer de compétences. L'approche exclusivement managériale est dangereuse pour la sécurité. La responsabilité du donneur d'ordre doit être automatiquement engagée en cas de sinistre ou d'accident lié à l'utilisation de sous-traitants. L'utilisation de la sous-traitance doit être assujettie à un système sûr d'agrément public des entreprises et d'habilitation professionnelle des salariés, et assortie de procédures et modalités d'organisation du travail. Il faut accroître sensiblement le nombre de représentants des salariés dans le cas des activités classées soumises à autorisation et surtout des sites Seveso, mettre en place des Comités d'hygiène et sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de site. Il faut faciliter et étendre le droit d'alerte particulier aux membres du CHSCT, créer à leur bénéfice un droit de visite permanent des installations, avec possibilité de consulter et d'interroger sans entrave le personnel. Toute tentative de licencier un élu CHSCT qui a joué son rôle dans la prévention de risques, toute sanction professionnelle à son encontre doit être considérée comme automatiquement illégale, de nul effet et sanctionnée comme telle. L'inspection du travail doit être remobilisée sur le contrôle du droit du travail, sur tous les lieux de travail. Cela suppose de garantir son indépendance, d'accroître ses effectifs et ses moyens, d'améliorer ses outils juridiques d'intervention. Une fois encore, certaines logiques d'entreprise apparaîtront contradictoires avec l'aspiration légitime à la sécurité des populations et des salariés. Il faudra alors avoir le courage de les remettre en cause. Il apparaît malheureusement un redoutable cloisonnement entre la «chimie scolaire» (y compris de niveau universitaire ou grande école) et les conditions de la chimie appliquée et pratiquée en situation industrielle. Quand on mélange les fonctions (pompiers-opérateurs par exemple) ou quand l'organisation des équipes conduit à allonger les délais d'intervention (cas du transport de gaz par conduites actuellement), on s'expose à ne pas pouvoir intervenir à temps et on prend le risque qu'un incident banal se transforme en sinistre majeur.

On pourrait sans doute mobiliser les personnels du ministère des Armées spécialistes de ces questions pour renforcer les moyens des Drire à titre exceptionnel. La protection de l'article L 230-2 du code du travail doit être étendue à tout intervenant sécurité et à tout cadre qui auront pris des positions ou des mesures destinées à prévenir un risque dont il est probable qu'il aurait pu prendre une certaine gravité en l'absence d'intervention. Les inspecteurs des caisses régionales d'assurance maladie doivent également jouer un rôle nettement revalorisé dans la prévention des risques industriels et technologiques, car en intervenant pour limiter les risques et incidents «élémentaires» et protéger la santé des salariés, on assure aussi la prévention des accidents plus importants.

BERNARD THIBAULT


 Source : La Depeche (10/12/2001)    Source : La Depeche (11/12/2001)

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